ETUDES DE CAS
Pour le jeune couple décédé au cinquième étage du 19, rue d'Enfer, les circonstances permirent d'éliminer rapidement un suicide et de retenir une double asphyxie causée par des gaz délétères produits de la combustion des charbons.
Cet accident n'est malheureusement qu'un drame parmi d'autres, que cite la « Gazette de médecine » du 10 octobre 1864. Bien souvent, c'est un poêle portatif, sans tuyau, qui est en cause.
Exemple. Un jeune homme de 17 ans, demeurant au 2, boulevard des Capucines, est victime d'une asphyxie. Il avait eu l'imprudence d'introduire le soir un de ces « fumivores » dans une petite pièce où il couchait. Le lendemain, il a été trouvé sans connaissance par une jeune Anglaise. On fit appeler le médecin, mais tout secours fut inutile : le jeune homme a succombé la nuit suivante sans avoir repris ses sens.
Autre exemple. « Un voyageur arrivait à la gare du chemin de fer, au Bourget, et se présentait au bureau de délivrance des billets afin de se mettre en mesure de partir par le premier train allant à Soissons. Il trouva le guichet fermé et essaya vainement d'attirer l'attention du préposé. Lassé d'attendre, il poussa violemment la porte du bureau et il trouva cet employé gisant, privé de mouvement, sur le sol. Aussitôt, il l'enleva, le porta au grand air et donna l'alarme. » (...) L'employé, âgé de 18 ans, « avait été asphyxié par l'acide carbonique s'échappant d'une fissure qui existait à un tuyau du calorifère chauffant tout le bâtiment ». Il s'en tira.
Autre exemple : un domestique qui couchait dans une chambre sans cheminée eut l'idée d'y apporter le soir un réchaud plein de braises allumées. Le lendemain, le maître de maison, ne voyant pas paraître son domestique à l'heure accoutumée, monta dans sa chambre et le trouva mort dans son lit. La chambre, trop hermétiquement fermée, n'avait pas donné passage à l'air extérieur et l'asphyxie s'en était suivie.
Il y eut aussi, rue du Grand-Chantier, une jeune personne de 20 ans qui fut asphyxiée par suite d'un séjour d'une heure dans une petite pièce chauffée au moyen d'un calorifère portatif... Et dans un restaurant, boulevard Sébastopol, deux personnes furent également asphyxiées.
L'ordonnance de 1848
Tous ces accidents imposaient à la « Gazette de médecine » de rappeler l'instruction annexée à l'ordonnance de 1848 sur les dangers des poêles et calorifères quand ils n'ont pas de communication avec l'extérieur :
« Les combustions destinées au chauffage et à la cuisson des aliments ne doivent être brûlées que dans des cheminées, poêles et fourneaux qui ont une communication directe avec l'air extérieur, même lorsque le combustible ne donne pas de fumée. Le coke, la braise et les diverses sortes de charbon qui se trouvent dans ce dernier cas sont considérées à tort, par beaucoup de personnes, comme pouvant être impunément brûlées à découvert dans une chambre habitée. C'est là un des préjugés les plus fâcheux ; il donne lieu tous les jours aux accidents les plus graves, quelquefois même, il devient cause de mort. Aussi, doit-on proscrire l'usage des braseros, des poêles et des calorifères portatifs de tous genres qui n'ont pas de tuyaux d'échappement au dehors. Les gaz qui sont produits pendant la combustion de ces moyens de chauffage et qui se répandent dans l'appartement sont beaucoup plus nuisibles que la fumée de bois.
On ne saurait trop s'élever contre la pratique dangereuse de fermer complètement la clef d'un poêle (cas du couple de la rue d'Enfer) ou la trappe intérieure d'une cheminée qui contient encore de la braise allumée. C'est là une des causes d'asphyxie les plus communes. On conserve, il est vrai, la chaleur dans la chambre, mais c'est quelquefois aux dépens de la santé et quelquefois de la vie. »
L'apparition d'une nouvelle épidémie en Savoie
Un an plus tard, jour pour jour, le 10 octobre 1865, la « Gazette de médecine » publie un article intitulé : « Sur l'apparition d'une nouvelle espèce d'épidémie en Savoie ». Carret fait parvenir à l'Académie des sciences un mémoire, lu par Velpeau : selon lui, cette maladie n'a pris naissance en Savoie qu'avec l'usage des poêles en fonte. Dans une note qui accompagne le mémoire, adressée au secrétaire perpétuel, il écrit : « Cinq ans d'observations constantes me permettent d'affirmer qu'un bon nombre d'épidémies d'hiver, que l'on désigne ordinairement sous les noms de méningite cérébro-spinale, de typhus cérébral, de fièvres rémittentes graves, sont tout simplement des intoxications par le gaz oxyde de carbone que dégagent les poêles en fonte. » Il faut dire que la fonte de fer contient « 3 ou 4 centièmes de carbone ».
Oxyde de carbone
A l'appui de ses dires, Carret joint une note de son neveu, Jules Carret, qui relate une expérience à laquelle il s'est livrée : dans une salle du collège de Chambéry cubant 264 mètres et fortement chauffée pendant environ quinze heures par un poêle en fonte, « le gaz toxique existait bien réellement dans l'air de cette salle, comme le lui a démontré son action sur le chlorure d'or, en donnant naissance, dans chacune des boules de l'appareil de Liebig dont il se servait, à un précipité grisâtre et à la formation d'une multitude de lamelles à éclat métallique doré ».
Alors, est-ce la fonte qui est responsable de l'émanation d'oxyde de carbone ? Non, estime Regnault, à l'Académie des sciences. « La prétendue insalubrité des poêles en fonte est souvent attribuée au carbone combiné avec le fer ; on dit : "Ce carbone brûlant à l'air dégage de l'oxyde de carbone, et c'est à l'action toxique de ce gaz délétère qu'il faut attribuer les mauvais effets de ces poêles." Je crois qu'il est utile de rectifier les idées sur ce point. Le carbone de la fonte, ajoute-t-il, brûlant au contact de l'air, à la surface rougie du poêle, se change en acide carbonique et non en oxyde de carbone. (...) La cause de l'insalubrité du chauffage par un poêle doit être recherchée ailleurs ; elle provient toujours de l'absence de ventilation. »
Un saut dans le présent
En France, on déplore encore 6 000 intoxications oxycarbonées et 300 morts par an. Des chiffres tout de même en baisse ces dernières années, notamment grâce aux campagnes d'information du public et à l'amélioration de l'habitat. Les intoxications sont dues à une mauvaise combustion, quel que soit le combustible, associée à l'insuffisance d'air et/ou d'aération de la pièce. Incolore et inodore, combustible et explosif, le monoxyde de carbone agit comme un gaz asphyxiant ; il est très rapidement absorbé par l'organisme et tue d'autant plus rapidement qu'il est fortement concentré dans l'air (0,1 % de CO tue en une à trois heures, 1 % en quinze minutes et 10 % instantanément).
L'empoisonnement par les fers à repasser
Année 1864 : dans le « Phare de la Loire », le Dr Guépin, de Nantes, signe un article intitulé : « Empoisonnement par les fers à repasser ». La « Gazette de Médecine » du 10 octobre 1864 en fait un résumé.
Il s'agit non pas des nouveaux fers à repasser, plaques que l'on chauffe dans un appareil spécial déposé dans une cheminée, qui n'ont aucun inconvénient pour la santé, mais des anciens fers dans lesquels on brûle du charbon. « L'acide carbonique produit peut amener l'asphyxie et l'oxyde de carbone, qui se dégage si souvent en pareil cas, est bien autrement dangereux ; c'est un poison très actif. Depuis trente-quatre ans que nous exerçons la médecine, nous ne cessons de conseiller la suppression des anciens fers à repasser ; le nombre des jeunes personnes chez lesquelles ils ont produit, à notre connaissance, des accidents, est beaucoup plus considérable qu'on ne le croit généralement », explique le Dr Guépin.
« L'année dernière, poursuit-il, une jeune personne très distinguée et d'une belle santé, la fille d'un médecin, fut prise, en repassant le linge de la famille, d'un évanouissement prolongé que suivit un fâcheux état cérébral et la perte de la vue. Elle est aujourd'hui guérie ; mais il a fallu un an de soins pour effacer les traces de l'oxyde de carbone. »
« Nous soignons en ce moment quatre lingères dont la constitution a été altérée profondément par l'usage de vieux fers à repasser, encore qu'elles aient eu la prudence de toujours travailler dans un courant d'air. »
Le Dr Guépin espère que son article suffira à « éclairer la conscience des chefs de famille chez qui les vieux fers sont encore en usage ».
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