LES INFILTRATIONS rachidiennes de corticoïdes sont utilisées dans le traitement de la lombosciatique depuis plus de cinquante ans. Elles sont proposées en cas d'échec du traitement médicamenteux. Ces dernières années, la connaissance de la physiopathologie de la douleur liée à la hernie discale s'est enrichie. Les données actuelles suggèrent que la douleur n'est pas seulement liée au conflit mécanique induisant une déformation de la racine nerveuse. Le matériel nucléaire, après avoir atteint l'espace épidural, du fait de la hernie, sensibilise la racine nerveuse par le biais de multiples cytokines, dont le TNF-alpha (1). Ces données rendent compte de l'intérêt théorique éventuel des infiltrations apportant localement un anti-inflammatoire puissant.
Les infiltrations épidurales.
Les infiltrations épidurales ont fait l'objet de plusieurs controverses, déclenchées par des processus divers, dominés par le développement de l'Evidence Based Medecine.
Les voies d'injection sont variables : interépineuse lombaire, par le premier trou sacré ou par le hiatus sacro-coccygien.
Les études ouvertes sont nombreuses et attestent un bon résultat dans 65 % des cas environ. Les études randomisées ont fait l'objet de plusieurs revues, dont les conclusions sont assez similaires (2, 3, 4) : les résultats de la moitié des études environ sont favorables aux infiltrations, l'efficacité sur la douleur ne se discerne pas au-delà d'un délai d'un mois, un seul travail constate un effet sur le retour au travail des patients, aucun ne mentionne une réduction du recours à la chirurgie
Un essai randomisé, en double aveugle, a été réalisé selon la pratique française (trois injections rapprochées), avec les critères d'inclusion suivants (5) : patients hospitalisés pour lombosciatique de plus de 15 jours et moins de 6 mois, douleur sur EVA supérieure à 30 mm. Les patients recevaient trois injections épidurales à deux jours d'intervalle, soit de prednisolone acétate 2 ml (43 patients), soit de sérum physiologique 2 ml utilisé comme placebo (42 patients), par voie interépineuse. Le critère principal était le pourcentage de patients ayant un succès au traitement à J20, succès défini par une amélioration marquée ou une guérison selon l'avis global du patient, l'absence de recours à un Ains entre J0 et J20. La douleur sur EVA, la qualité de vie (échelle de Dallas) et la capacité fonctionnelle (indice Eiffel) étaient également évaluées. Les résultats portant sur le critère principal n'étaient pas significativement différents entre les deux groupes [22 succès sur 43 pour les corticoïdes (51 %) ; et 15 sur 42 pour le placebo (36 %) p = 0,15]. L'amélioration des critères secondaires était importante dans les deux groupes. Les variations intragroupes étaient notables, de l'ordre de 30 % pour la douleur, mais sans différence intergroupes. L'effet des corticoïdes sur la douleur radiculaire était maximal à la troisième semaine, mais n'atteignait pas la signification statistique par rapport au groupe témoin. Ainsi, dans cette population de patients hospitalisés pour lombosciatique, les infiltrations de corticoïdes n'ont pas démontré une efficacité significativement supérieure à l'injection épidurale de sérum physiologique, ces résultats ne permettant cependant pas d'en exclure un effet éventuel.
Des études méthodologiquement complexes.
Ces données illustrent bien la difficulté de réalisation, mais aussi d'interprétation, des études concernant l'efficacité des infiltrations dans la lombosciatique. L'absence d'effet statistiquement démontré peut résulter d'un traitement inefficace, d'une mauvaise sélection des malades inclus, de mauvais critères de jugement ou de bien d'autres défauts méthodologiques. Il est clair qu'aucune étude n'a prouvé que les infiltrations épidurales réduisaient le taux de recours à la chirurgie. De même, il n'a pas été démontré que les infiltrations accéléraient le retour au travail. Ces dernières ont un effet antalgique à court terme. L'évolution naturelle de la lombosciatique se fait vers l'amélioration, et il est naturel que, à moyen et à long terme, les critères d'évaluation se rejoignent.
Enfin, les infiltrations doivent être effectuées par des praticiens expérimentés, après une information précise sur les risques éventuels.
Les infiltrations périradiculaires.
L'injection est faite par voie latérale dans l'espace périradiculaire au niveau du foramen atteint, sous contrôle scopique, après opacification. Plusieurs études randomisées ont été réalisées avec une méthodologie différente.
J. Karppinen et coll. (6) ont comparé dans une étude randomisée, en double aveugle, l'injection périradiculaire de 40 mg/ml de méthylprednisolone + 5 mg/ml de bupivacaïne (n = 80 patients) à celle de sérum physiologique (n = 80 patients). Il s'agissait de patients souffrant d'une lombosciatique unilatérale depuis trois à vingt-huit semaines. L'évaluation a été faite à l'inclusion, à 2 semaines, 1, 3, 6 et 12 mois, et portait sur la douleur (EVA), l'incapacité fonctionnelle (indice Oswestry), la qualité de vie (indice NHP). A 2 semaines, l'amélioration était significativement plus importante dans le groupe corticoïde pour la douleur radiculaire et la satisfaction du patient. Cette différence ne persistait pas lors des évaluations suivantes. Il faut noter une réduction de l'intensité de la douleur à 1 mois de plus de 40 % dans les deux groupes. Il faut également insister sur le fait que le groupe contrôle comportait une injection périradiculaire de sérum physiologique, dont l'inefficacité n'a pas été testée. Un suivi en IRM réalisé 2 et 12 mois après l'injection a permis de montrer que l'injection périradiculaire de corticoïdes n'empêchait pas la résorption spontanée de la hernie discale (7). Il semblerait même que la résorption survienne plus rapidement avec le corticoïde.
V. B. Vad et coll. (8) ont comparé dans une étude randomisée, ouverte, l'injection transforaminale de corticoïde (9 mg d'acétate de bétaméthasone + xylocaïne) à l'injection de sérum physiologique dans les muscles paraspinaux au niveau d'une zone gâchette. A 16 mois, 84 % des patients du groupe corticoïde étaient améliorés versus 48 % dans le groupe contrôle. Le délai entre la dernière injection et l'amélioration maximale était de 4 semaines pour le corticoïde, de 12 semaines pour le placebo. Les points faibles de cette étude sont l'absence d'aveugle, l'absence de données sur l'ancienneté de la sciatique et de précision en ce qui concerne les modalités de la randomisation.
V. D. Riew et coll. (9) ont comparé en double aveugle l'injection périradiculaire de corticoïde (6 mg de bétaméthasone + bupivacaïne) à celle d'un produit témoin (1 ml de bupivacaïne) chez 55 patients adressés au chirurgien pour une cure de hernie discale ou de sténose canalaire après échec du traitement conservateur. Avec un recul médian de vingt-trois mois, l'intervention a secondairement été réalisée pour 8/28 patients du groupe corticoïde versus 18/27 du groupe témoin (p < 0,004). Cette étude a montré pour la première fois une diminution du recours à la chirurgie avec les infiltrations.
Pour conclure, ces résultats sont, là encore, difficiles à interpréter. Néanmoins, il ressort de ces études que les infiltrations périradiculaires de corticoïde ont un effet symptomatique à très court terme par rapport à une injection périradiculaire de sérum physiologique, un effet symptomatique à plus long terme si le groupe contrôle n'est pas injecté en périradiculaire (mais il s'agissait d'une étude plus discutable sur le plan méthodologique) ; enfin, il est possible qu'il existe un effet sur le recours à la chirurgie pour des patients au stade chirurgical, données qui doivent être confirmées. Il est licite de proposer ce type d'infiltration avant d'envisager un traitement chirurgical.
* Service de rhumatologie CHU Pitié-Salpêtrière, Paris.
sylvie.rozenberg@psl.ap-hop-paris.fr
1. Olmarker K, Rydevik B. Selective Inhibition of Tumor Necrosis fFctor -alpha Prevents Nucleus Pulposus-induced Thrombus Formation, Intraneural Odema, and Reduction of Nerve Conduction Velocity. Spine 2001; 26: 863-869.
2. Rozenberg S, Dubourg G, Khalifa P, Paolozzi L, Maheu E, Ravaud P. Efficacy of Epidural Steroids in Low Back Pain and Sciatica : a Critical Appraisal by a French Task Force of Randomized Trials. Joint Bone Spine 1999; 66: 79-85.
3. Koes BW, Scholten RJPM, Mens JMA, Bouter LM. Efficacy of Epidural Steroid Injections for Low Back Pain and Sciatica: a Systematic Review of Randomized Clinical Trials. Pain 1995; 60: 279-288.
4. Weinstein SM, Herring SA. Lumbar Epidural Steroid Injections. Spine Journal 2003; 3: 37S-44S.
5. Valat JP, Giraudeau B, Rozenberg S, Goupille P, Bourgeois P, Micheau-Beaugendre V, Soubrier M, Richard S, Thomas E. Epidural Corticosteroid Injections for Sciatica : a Randomized, Double Blind, Controlled Clinical Trial. Ann Rheum Dis 2003; 62: 639-643.
6. Karppinen J, Malmivaara A, Kurunlahti M, Kyllönen E, Pienimäki T, Nieminen P, Ohinmaa A, Tervonen O, Vanharanta H. Spine 2001; 26: 1059-1067.
7. Autio RA, Karppinen J, Kurunlahti M, Haapea M, Vanharanta H, Tervonen O. Effect of Periradicular Methylprednisolone on Spontaneous Resorption in Intervetebralk Disc Herniations. Spine 2004; 29: 1601-1607.
8. Vad VB, Bhat AL, Lutz GE, Cammisa F. Transforaminal Epidural Steroid Injections in Lumbosacral Radiculopathy. Spine 2002; 27: 11-16.
9. Riew KD, Yin Y, Gilula L, Bridwell K, Lenke L, Llaryssen C, Goette K. The effect of Nerve-root Injections on the Need for Operative Teatment of Lumbar Radicular Pain : a Prospective, Randomized, Controlled, Double-blind Study. J Bone Joint Surg 2000; 82-A(11): 1589-1593.
Les anti-TNF-a ont ils une place dans la sciatique commune ?
Le TNF-a serait nécessaire et suffisant dans l'apparition de l'inflammation locale observée dans la sciatique commune. D'où l'idée d'utiliser un anti-TNF dans la prise en charge de la lombosciatique.Le point sur les résultats préliminaires par le Dr François Rannou et le Pr Michel Revel*
EN EFFET, l'extraction de TNF-a du tissu discal ou l'utilisation de TNF-a recombinant permet, lorsqu'il est appliqué directement sur des racines nerveuses animales, de reproduire les phénomènes inflammatoires locaux observés après simple application de tissu discal. L'utilisation d'anti-TNF-a sur des modèles animaux de sciatique permet une diminution significative des lésions inflammatoires locales suggérant un potentiel intérêt de son inhibition en clinique humaine. En conséquence, certains auteurs ont évalué les anti-TNF-a dans la sciatique commune. A deux semaines d'une perfusion intra-veineuse de 3 mg/kg d'infliximab, 60 % des patients ont une diminution d'au moins 75 % de la douleur radiculaire contre 16 % dans le groupe contrôle (p = 0.006) [2]. Ceci se confirme à un, trois, six et douze mois [2, 3]. Dans un deuxième essai, les patients recoivent à J1, J4 et J7, 25 mg d'étanercept par voie sous-cutanée. A six semaines, la douleur radiculaire et lombaire et l'indice fonctionnel sont significativement améliorés dans le groupe étanercept (respectivement p < 0.001, p = 0.002, p < 0.05).
Ces résultats sont préliminaires et insuffisants. Ils ne doivent pas encore modifier notre pratique quotidienne. Il est nécessaire dans un premier temps de confirmer ces résulats dans une étude randomisée, contrôlée en double aveugle sur de larges effectifs. De plus, il paraît tout à fait déraisonnable en termes de coût/bénéfice/risque de proposer un anti-TNF-a aux patients souffrant de lombosciatique par hernie discale. La séléction d'un sous-groupe de patients paraît être un préalable indispensable. La recherche clinique devra définir ce sous-groupe.
>Dr FRANCOIS RANNOU ET Pr MICHEL REVEL
* Service de rééducation et de réadaptation de l'appareil locomoteur et des pathologies du rachis hôpital Cochin Paris.
françois.rannou@cch.aphp.fr.
1. Genevay S, Stingelin S, Gabay C. Efficacy of etanercept in the treatment of acute, severe sciatica: a pilot study. Ann Rheum Dis 2004; 63: 1120-3.
2. Karppinen J, Korhonen T, Malmivaara A, Paimela L, Kyllonen E, Lindgren KA, et al. Tumor necrosis factor-alpha monoclonal antibody, infliximab, used to manage severe sciatica. Spine 2003; 28: 750-3.
3. Korhonen T, Karppinen J, Malmivaara A, Autio R, Niinimaki J, Paimela L, et al. Efficacy of infliximab for disc herniation-induced sciatica: one-year follow-up. Spine 2004; 29: 2115-9.
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