26, rue Notre-Dame-des-Victoires, dans le 2e arrondissement de Paris, le centre médical de la Bourse. C'est là que, depuis 1959, une quinzaine de médecins du travail sont à l'écoute des problèmes de santé des professionnels du spectacle, artistes et techniciens, permanents et intermittents.
De beaucoup les plus nombreux, les IS font l'objet de quelque 30 000 visites annuelles. « Ce ne sont pas des travailleurs comme les autres, souligne le Dr Geneviève Egal-Bertot, qui les suit depuis deux décennies. Bien sûr, comme n'importe quel intérimaire du secteur tertiaire, l'IS subit le contre-coup de la précarité : la recherche d'emplois successifs lui demande beaucoup d'énergie et de temps, elle occasionne quantité de problèmes dans la vie personnelle : difficulté de souscrire un emprunt, d'acquérir ou de louer un logement, de concilier les astreintes professionnelles avec les horaires des enfants et du conjoint. Ces problèmes matériels peuvent avoir des conséquences sur le suivi médical, souvent négligé, le suivi dentaire en particulier. »
Mais l'appréciation du médecin du travail ne se limite pas au seul critère de la précarité ; contrairement à tant de salariés du tertiaire, les intermittents ont le feu sacré : « Vocation artistique, désir de créer, anticonformisme, désir d'indépendance, refus d'un travail routinier, goût du défi sont à l'origine de leur choix de vie », estime le Dr Egal-Bertot .
« Ils respirent le bonheur de vivre de leur métier et répandent autour d'eux un plaisir communicatif, renchérit le Dr Tatiana Wajnberg, trente ans d'expérience au centre Bourse. Rien à voir avec les autres salariés ! »
C'est sans doute pourquoi, nonobstant la longue liste des somatisations diverses et variées et autres pathologies dont ils sont coutumiers (voir encadré), les IS, constatent leurs médecins du travail, ne sont guère sujets aux arrêts de travail. Quasiment aucune visite de reprise du travail dans les rapports annuels. Si le régime chômage est déficitaire, le régime maladie, lui, est sans doute largement excédentaire.
Le retentissement du stress qu'ils emmagasinent de manière non intermittente, qu'ils travaillent ou qu'ils attendent de travailler, est sévère. « Aux médecins de ville qui ont dans leur clientèle des IS, insiste le Dr Wajnberg ; je recommande donc d'être très attentifs aux conduites addictives et aux troubles du sommeil. Ils sont responsables d'une accidentabilité élevée.
Les accidents sont d'autant plus nombreux que, pris dans une logique de diminution des coûts, les producteurs réduisent les délais de préparation et font une utilisation intensive des matériels et des locaux. » Circonstance aggravante, s'agissant d'installations souvent provisoires, les contrôles sont très difficiles à effectuer.
« Qu'est-ce qu'ils vont devenir ? », s'interroge le Dr Bertot, qui confie s'être toujours posé la question. La durée de vie professionnelle d'un intermittent est courte, environ douze ans, en moyenne. Après, au gré des rencontres de la vie, ils se reconvertissent dans la restauration ou la brocante, par exemple. Alors, avec le nouveau régime d'assurance chômage, le turn-over risque encore de s'emballer. Mais il faut les laisser vivre. Car sans eux, la vie serait bien triste. »
Les médecins du travail sont certes bien conscients des abus commis par certaines entreprises qui profitent des ASSEDIC pour alléger leurs charges salariales.
Mais, ajoutent-ils, il ne faudrait pas que des employeurs indélicats précipitent la perte de tous ces petits qui sont d'authentiques créateurs et que la réforme menace de disparition.
Ces artistes, les Drs Egal-Bertot et Wajnberg les suivent depuis des années. Leurs dossiers médicaux sont annotés de repères sur leurs filmographies et leurs carrières. Plusieurs fois par semaine, elles vont les applaudir sur scène. Les célébrités comme les inconnus. Les plus illustres ne sont pas les moins gentils, assurent-elles, citant, pêle-mêle, Raymond Devos, Guy Bedos, Suzanne Flon ou Jean Piat, leurs habitués parmi d'autres.
Avec le temps, les médecins du travail sont passés de l'autre côté de la rampe. « Un soir, raconte le Dr Wajnberg, au beau milieu de son one-man show, un comédien très connu qui m'avait installée au premier rang de l'orchestre, pris par une quinte de toux, me lance haut et fort : "Oui, Tatiana, je sais, il faut que j'arrête de fumer"... Vous voyez, on fait un peu partie de leur monde. »
Les pathologies professionnelles
Les pathologies les plus fréquemment rencontrées par les IS, selon les Dr Egal-Bertot et Wajnberg, sont les suivantes :
- dorsolombagies et lombosciatalgies : on porte et on transporte beaucoup, qui son instrument de musique, qui le matériel... ;
- TMS chez les musiciens et les monteurs ;
- troubles psychosomatiques liés à l'irrégularité de vie et des heures de repas (gastralgies, colopathies et colites très fréquentes), troubles du sommeil induits par des horaires irréguliers travail de nuit ;
- périodes d'asthénie intense suivant les périodes de travail, HTA transitoires, perturbations métaboliques glucidolipidiques, prises de poids ;
- stress intense et prolongé qui cause des infarctus ;
- anxiété rencontrée à toutes les étapes de la vie professionnelle, peur de l'échec, trac nécessitant parfois un traitement ;
- états dépressifs occasionnés par des échecs ;
- angoisses suscitées par le vieillissement ;
- atteintes de l'audition chez les musiciens ;
- maladies contractées lors des voyages (un technicien est mort du paludisme en 2002).
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