L A complainte du temps qu'il fait est un grand classique du colloque singulier. Surtout en cette période de l'année. Mais tous les généralistes, sans exception, que « le Quotidien » a interrogés, à Paris comme dans les régions, le confirment : le phénomène atteint cette année des proportions hors du commun.
« Mes clients sont moroses, tristounets, bougons, remarque le Dr Hubert Legastellois (Isigny-sur-mer, Calvados). Du matin au soir, je recueille toutes sortes de plaintes sur le temps pourri. »« Ils sont mal dans leur peau, ils expriment pour la plupart un malaise psycho-émotionnel diffus », note le Dr Pascal Legrand (Vannes, Morbihan). « Ils se traînent, ont perdu la pêche, se plaignent d'être fatigués et en proie au ras-le-bol », note le Dr Sylvie Lexcellent (Reims, Marne).
Le syndrome du printemps
Et le diagnostic que portent les uns et les autres, c'est ce « syndrome du printemps » bien connu dans la pratique généraliste, mais qui est cette année décliné sur un mode quasi litanique. « C'est une période de l'année classiquement difficile, explique le Dr Michel Chassang, président de l'UNOF (Aurillac, Cantal). Le mauvais temps retentit sur le moral. Et le mauvais moral influe énormément sur toutes les pathologies. Rien ne va, nous disent les gens. La même douleur, quand le temps est mauvais, n'a rien à voir avec celle qui est ressentie par grand beau temps. Cela suscite toutes sortes de manifestations somatiques, sans que la symptomatologie psychique soit forcément mise au premier plan. »
Ce mal-être diffus n'occasionne pas, selon les interlocuteurs du « Quotidien », un surcroît d'appels, mais il nécessite de passer plus de temps à écouter et à rassurer les patients.
A l'AP-HP cependant, on constate une « augmentation notable » du nombre des consultations en psychiatrie. « Notable, quoique modeste, précise le Pr Maurice Ferreri, chef du service de psychiatrie de l'hôpital Saint-Antoine, à Paris. C'est difficile d'être très précis car nous sommes tous en surcharge chronique, mais on peut estimer entre 2 et 3 % la progression du nombre des consultations. S'ajoutent à cette tendance la recrudescence des appels de patients qui demandent de réduire les délais entre deux rendez-vous, quand ils font l'objet d'un suivi. »
Le Pr Ferreri estime qu'on est en présence d'une « prolongation dans le temps des dépressions saisonnières, alors que, d'ordinaire, à cette période de l'année, les beaux jours les améliorent naturellement ».
Autre explication, « la dépressivité, plutôt que la dépression, qui s'installe chez les gens. C'est une réalité neurophysiologique établie, qui fait que, par exemple, quand le temps est gris, les malades ont besoin d'augmenter le contraste de leurs récepteurs TV pour obtenir le même rendu de l'image ». Ce syndrome pourrait s'intituler, poursuit le Pr Ferreri, « une hyperesthésie à l'environnement, avec une discrète irritabilité et une moindre tolérance ». La faute au temps ? « Ce n'est pas établi, mais on sait que moins de soleil signifie moins de mélatonine. Or la mélatonine est un précurseur du tryptophane, lui-même précurseur de la sérotonine. »
Prolongations hivernales
Ces interactions font certes toujours l'objet de discussion. Mais « nous sommes incontestablement en présence d'un hiver qui continue au-delà de l'habitude, souligne le Dr Damien Léger, responsable de l'unité du sommeil à l'Hôtel-Dieu, l'un des deux services parisiens qui pratiquent la luxthérapie. Normalement, le printemps calme les dépressions saisonnières qui, cette année, perdurent. Notre unité est complètement saturée, constate-t-il. Cela ne permet pas d'être très précis en termes épidémiologiques, mais c'est une indication ».
Quoi qu'il en soit, les syndromes traités sont bénins. « Hormis dans le cas de dépressions bipolaires pour lesquelles il y a des rechutes, ce sont des pathologies relativement légères et une semaine de beau temps suffira à traiter la plupart des patients », estime le Pr Ferreri.
Un pronostic confirmé par le Pr Patrick Lemoine (CHS Le Vinatier à Bron, Rhône), qui enregistre plus de plaintes en consultations, mais pas davantage d'hospitalisations.
De même, au réseau Sentinelle des généralistes, le marqueur des tentatives de suicides, créé il y a deux ans, n'enregistre pas une évolution particulière, selon Cécile Wiboud, de l'INSERM U 444.
Alors, force est de s'en remettre au leitmotiv exprimé chez les généralistes, jusqu'à plus ample information épidémiologique. Quitte, comme le note le Dr Thierry Gaillarda (Paris), à ce que « les médias, et singulièrement les télés, confèrent un effet amplificateur au phénomène, car si la saison est particulièrement mauvaise, on ne nous a jamais autant rebattu les oreilles sur la catastrophe nationale que constitue le mauvais temps. »
Jusqu'à des quotidiens nationaux qui lui consacrent d'alarmistes manchettes. Alors, les généralistes redoublent d'attentions devant ces lamentations incessantes. Écouter, plus que médicaliser, est leur principale réponse - même si nombreux sont ceux qui délivrent des prescription de magnésium.
« Cette fatigue générale nous fatigue nous-mêmes, soupire le Dr Jean-Marie Leichter (Paris 20e) : la tristoune générale a fini par me gagner alors même que je devrais être tout à la joie de la naissance de mon petit-fils ! »
26 jours de pluie sur 30
De 21 à 24 jours de pluie en avril selon les lieux en Ile-de-France ; 26 jours à Reims, 25 jours à Abbeville, la malheureuse agglomération picarde noyée sous les eaux, 24 jours à Dijon. En moyenne, le Nord de la France aura enregistré 26 jours arrosés sur 30.
Un record. Il faut remonter à 1922 à Abbeville et à 1873 à Paris pour retrouver des chiffres équivalents. Dans la capitale, le niveau des pluies a dépassé de 30 % la moyenne, le surcroît de précipitations atteignant 50 % à Besançon, Abbeville la sinistrée ayant presque triplé son niveau.
Pour autant, « il ne faut pas croire que le climat est devenu fou, cette situation est particulière à la France et au Benelux », commente un prévisionniste de Météo France, qui explique que notre pays a pâti d'une situation de blocage entre une « goutte froide », soit une masse d'air froid en altitude, stationnée sur l'Espagne, et, tout autour, des fronts dépressionnaires. Les spécialistes se gardent de voir là les premiers symptômes du réchauffement planétaire occasionné par les activités humaines génératrices de gaz à effet de serre. Selon eux, l'évolution erratique des données climatiques ne permet pas de dessiner une tendance lourde avant une trentaine d'années au minimum.
Ni l'Allemagne, ni même la Grande-Bretagne n'auront connu les trombes d'eau qui, ces six derniers mois, se sont abattues sur l'Hexagone. En revanche, à la différence de la France, où on n'a pas observé d'hiver, des vagues de froid rigoureux ont affecté l'Angleterre, la Scandinavie et la Russie.
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