Classique
« Les Troyens » intégralement restitués, après avoir été si longtemps tronqués, massacrés : c'est le projet de grande envergure que s'offre le Théâtre du Châtelet en cette année Berlioz pendant laquelle la France, à défaut du Panthéon raté de peu, a finalement rendu un hommage digne de lui à son compositeur mal aimé.
C'est donc à sir John Eliot Gardiner, chef fasciné par l'uvre depuis le début de sa carrière, que Jean-Pierre Brossmann a confié l'entreprise ainsi qu'à son Orchestre révolutionnaire et romantique et à son Monteverdi Choir augmenté des effectifs des Churs du Théâtre du Châtelet. Le chur a une part narrative et dramatique énorme dans cette uvre d'après « l'Enéide », de Virgile, dans laquelle l'essentiel de l'action se passe hors de la scène. Gardiner et Donald Palumbo ont fait un travail remarquable avec ces choristes, dont l'exceptionnelle qualité a donné une unité à cet opéra si peu classique dans sa forme et parfois même hétéroclite dans sa composition.
Avec ses instruments de l'époque berliozienne, l'orchestre a donné une continuité, des couleurs, des climats tout à fait inouïs à l'action, même si l'on a pu déplorer que les fameux saxhorns, cors conçus par l'inventeur du saxophone et prêtés pour l'occasion par l'Association des collectionneurs d'instruments de musique à vent, n'offrent pas toujours la garantie de justesse d'exécution !
Malgré les faiblesses dramatiques de l'uvre quand elle n'est pas coupée, Gardiner a réussi à soutenir l'attention pendant les quatre heures que dure l'opéra quand ses deux parties sont jouées successivement. Seule faiblesse, mais de taille : les deux ballets qui grèvent la seconde partie. Si on veut les conserver, il faut avoir de vraies idées chorégraphiques et non des fadaises prêtant au fou rire et cassant véritablement le rythme des actes III et IV déjà plus faibles dans leur structure dramatique.
De l'inégalité de l'uvre résulte celle de la réalisation scénique. Pour les deux premiers actes, qui constituent « la Prise de Troie », Yannis Kokkos a imaginé un dispositif scénique d'une grande beauté et très efficace. Un escalier qui occupe toute la largeur de la scène, s'enfonce dans le sol et l'action est restituée au public par un miroir placé au fond de la scène donnant l'impression d'un espace immense. Les scènes de foule sont réglées sans aucun pompiérisme et beaucoup d'humanité. L'utilisation de projections sur ce fond est parfaitement maîtrisée et ajoute beaucoup de relief à l'action.
Pour « les Troyens à Carthage », Kokkos a utilisé un procédé beaucoup plus traditionnel, avec des maquettes de monuments, des silhouettes d'arbres, des fonds de couleur unique (procédés chers à Robert Wilson, donc largement déjà vus). Même si les projections ajoutent beaucoup en exposant ce que le chant ne raconte pas (superbe « Chasse royale et Orage » montrant Didon et Enée au sommet de leur passion et l'intervention sur scène des fameux cornistes), l'impression dramatique est plus faible dans cette seconde et plus longue partie. Quelques petites fantaisies vestimentaires ne détournent pas d'un travail superbe sur les costumes, également signés Kokkos.
La distribution réunie était superbe et le travail réalisé pour une bonne diction française, remarquable. C'est la Cassandre du soprano italien Anna Caterina Antonacci (remplaçant Sara Mingardo initialement prévue) qui dominait, avec une très grande présence dramatique, une voix ample, l'essence d'une grande tragédienne. Avec une diction étonnante, elle habite totalement les imprécations prophétiques de ce personnage pathétique dont la filiation vocale est celle des grandes héroïnes tragiques de Gluck.
Douée d'une moins grande projection vocale mais merveilleusement rompue aux longs phrasés de ce rôle écrasant, l'Américaine Susan Graham est une Didon de grande classe, blessée mais fière jusque dans la mort, aux couleurs vocales infiniment nuancées et à la diction véritablement irréprochable.
Malgré une fâcheuse tendance à détimbrer, le ténor d'origine américaine Gregory Kunde (qui alternera dans le rôle d'Enée avec Hugh Smith) a fort bien tenu ce rôle héroïque, lui aussi dans des conditions de diction optimales.
Les nombreux rôles secondaires étaient parfaitement distribués, avec une mention spéciale pour le Français Ludovic Tézier, superbe dans Chorèbe, et pour l'Ascagne de Stéphanie d'Oustrac.
Ce spectacle, coproduit avec l'Opéra de Genève, qui va être enregistré pour faire l'objet ultérieurement d'un DVD, mérite amplement la qualification d'événement musical de la rentrée et probablement de la saison.
Châtelet (01.40.28.28.40) les 22 et 29 octobre, à 18 h 30 ; le 26, à 14 h. Retransmission en direct sur France-Musiques, France 2 et France 3 le 26 octobre, à 14 h.
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