PARMI LES recommandations sur la prise en charge de l'insuffisance cardiaque chez le sujet âgé, le Pr Jean-Paul Emeriau retient 10 points essentiels. 1) « Penser à l'insuffisance cardiaque. » Fréquente chez le sujet âgé, sa prévalence est de l'ordre de 1 million de cas en France. Elle touche plus de 9 % des personnes de 80 à 90 ans et sa mortalité reste élevée. Pourtant, elle est souvent oubliée. 2) « Diagnostiquer l'insuffisance cardiaque. » Les signes classiques sont la dyspnée d'effort, les râles crépitants et les oedèmes des membres inférieurs. Cependant, la prudence est de mise car leur spécificité n'est pas absolue. Les antécédents, la présence d'un « foie cardiaque » et/ou d'une turgescence jugulaire doivent aussi être pris en compte. 3) « Confirmer le diagnostic clinique » en sachant que l'échocardiographie est le seul examen complémentaire indispensable. Le dosage du BNP surutilisé n'a d'intérêt qu'en situation d'urgence. 4) « Reconnaître les comorbidités » qui sont nombreuses : 40 % des sujets âgés ont 4 ou 5 pathologies associées. 5) « Proposer des conseils hygiéno-diététiques ». Le régime sans sel ne doit être absolu que dans la phase aiguë. Poursuivi sur une plus longue durée, il risque d'induire une hyponatrémie chez le sujet âgé qui réabsorbe mal le NaCl. Limiter ensuite la consommation de sel à 4-5 g/j est suffisant. Maintenir un exercice physique quotidien et régulier est bénéfique à condition qu'il soit adapté au patient. Le poids doit être régulièrement contrôlé. Une variation de plus de 2 kg peut être due à une posologie inadaptée de diurétiques. 6) « Les diurétiques sont un traitement majeur » de l'insuffisance cardiaque, mais, en dehors des périodes aiguës, ils doivent toujours être utilisés à la plus faible dose efficace. 7) « Un autre traitement majeur, les IEC. » La préférence sera donnée aux IEC à longue demi-vie d'élimination et la plus forte posologie tolérée d'un point de vue tensionnel, rénal et électrolytique sera retenue. 8) « Ne pas oublier les bêtabloquants » en respectant les précautions d'usage. 9) « Prudence avec les associations médicamenteuses. » Enfin, 10) « Pour éviter les rechutes » qui sont fréquentes, il ne faut pas hésiter à réviser les traitements, faire appel aux spécialistes et à éduquer le patient et son aidant.
Trois phases.
La démence est une autre pathologie de plus en plus fréquente chez le sujet âgé. «S'il est difficile de modifier l'évolution d'une démence lorsqu'elle est installée, il est possible, selon le Pr Claude Jeandel, de retarder son expression par une stratégie adaptée.» En effet, l'installation d'une démence se fait en trois phases : une phase présyndromique qui dure entre dix et vingt ans, une phase de déficit cognitif objectivable pendant trois à cinq ans et une phase de retentissement fonctionnel pendant cinq à dix ans. L'intervention pendant la première phase serait plus efficace, mais elle n'est pas aisément repérable. La connaissance des facteurs de risque est importante, même s'il ne peut être question que d'agir sur les facteurs modifiables, en particulier les facteurs de risque vasculaire, tels que diabète, HTA, dyslipidémie, tabagisme… Le diabète de type 2 est clairement associé à l'altération des fonctions cognitives. La vasculopathie diabétique n'en est pas la seule cause, des études récentes suggérant un rôle important de l'insulinorésistance et du syndrome métabolique comme facteurs favorisants. De même, l'existence d'un lien entre HTA et déclin cognitif a été démontrée, avec un risque d'autant plus important que le niveau tensionnel est élevé. En accord avec cette affirmation, dans les études EVA et SYST-EUR, le traitement de l'HTA a diminué l'incidence des démences. Autre facteur favorisant la démence, l'AVC. Le risque de commencer une démence est multiplié par 9 dans l'année qui suit un AVC et multiplié par 2 les années suivantes. De plus, la diminution du risque de survenue d'un AVC avec un IEC réduit le risque de démence, comme l'a montré l'étude PROGRESS.
Favoriser les facteurs de protection est aussi utile que diminuer les facteurs de risque. Ainsi, la stimulation cognitive par le maintien d'activités (voyage, bricolage, jardinage, etc.) diminue le risque de survenue d'une démence. Une alimentation saine, qui inclut la consommation régulière de poisson, a aussi un impact favorable lié à une teneur élevée en acides gras oméga 3. De même, des apports alimentaires suffisants en antioxydants (vitamine E, sélénium…) sont bénéfiques dans la prévention des démences.
Rechercher une dénutrition.
Enfin, troisième pathologie très fréquente chez le sujet âgé, la dénutrition est une préoccupation importante en gériatrie. La proportion de sujets âgés dénutris est de l'ordre de 30 %. Les situations à risque de dénutrition sont multiples, mais sont en grande partie liées à l'isolement et à la solitude. Ainsi que le signale le Dr Patrice Brocker, chez les sujets âgés, «une armoire à pharmacie bien remplie côtoie souvent un frigo vide». Pour dépister une dénutrition, la pesée régulière est indispensable. Elle est souvent négligée, alors qu'elle devrait être intégrée à chaque consultation, comme l'est la mesure de la pression artérielle. Une perte de poids > 5 % en 1 mois ou > 10 % en 6 mois signe une dénutrition. Il en est de même d'un IMC (indice de masse corporelle) < 21, mais la prudence est recommandée car la mesure de l'IMC peut être erronée si la taille actuelle (souvent diminuée avec l'âge) du sujet n'est pas prise en compte. La grille d'évaluation MNA (Mini Nutritional Assessment) simplifiée (6 items) est d'une utilisation simple. Un score < 11 suggère un risque de malnutrition qui implique de réaliser le MNA complet à 18 items. Dans ce cas, la dénutrition est objectivée par un score < 17. La prise en charge de la dénutrition commence par des conseils diététiques et une alimentation enrichie. Des compléments nutritionnels par voie orale (CNO) ou entérale ne sont envisagés qu'en cas d'échec de la première option. Les CNO ne doivent pas remplacer l'alimentation, mais être donnés en plus de celle-ci. La nutrition entérale n'a d'intérêt que dans des circonstances très particulières (troubles de la déglutition) et avec l'accord du patient. Pour les personnes âgées en établissement, un effort apporté à la présentation de la nourriture et à la diversification des aliments peut favorablement stimuler l'appétit. Si l'anorexie persiste, sa cause doit être recherchée, et il faut penser à l'ulcère gastrique, qui peut être indolore chez le sujet âgé. Lorsque la dénutrition est prise en charge, la pesée doit être réalisée une fois par semaine. Une feuille de surveillance alimentaire permet de contrôler la prise de nourriture et de la corréler à la prise de poids. A savoir qu'une perte de poids liée à la résolution des oedèmes des membres inférieurs peut survenir dans une première phase.
Session « Médecine de la personne âgée et gériatrie », présidée par les Prs Claude Jeandel (CHU, Montpellier) et Jean-Paul Emeriau (Bordeaux), avec la participation du Dr Patrice Brocker (CHU, Nice). Avec le soutien institutionnel de Pfizer.
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