Jean Teulé est passé de la bande dessinée à l’écriture avec un rare bonheur et un style réjouissant qui tamponne les époques (« Je, François Villon », « le Magasin des suicides », « Mangez-le si vous voulez »…). « Entrez dans la danse » (1) est un condensé de cruauté qui relate au plus près de la réalité un épisode survenu à Strasbourg en 1518. Après qu’une jeune femme a jeté son nourrisson dans la rivière (d’autres, en ces temps de famine, d’épidémies et de malheurs multiples, mangeaient leur enfant), elle est sortie dans la rue et s'est mise à danser. Elle a tourné pendant des heures et, bientôt, d’autres femmes et des hommes aussi miséreux et désespérés l'ont imitée. Au grand dam des édiles, des religieux et des médecins. Ils seront 2 000 à tourbillonner quand l’évêque usera d’un moyen radical pour mettre un terme à ce comportement dément qui menace l’ordre public et le pouvoir des nantis. Une danse macabre qui interpelle aujourd’hui.
Marc Biancarelli, qui écrit en corse et en français, a choisi cette langue pour évoquer, dans « Massacre des Innocents » (2), une page sombre de l'histoire maritime et de la barbarie universelle, le naufrage d’un navire de commerce néerlandais en 1629 et le calvaire des 250 rescapés. Réfugiés sur un îlot désolé, ils y ont subi le joug de l’intendant Jeronymus Cornelisz, un apothicaire déchu, qui a multiplié les supplices et les tueries. Jusqu’à la rébellion d’une poignée de survivants. En s’emparant de cet épisode sanguinaire, l’auteur montre comment un homme déçu par son destin peut s’accomplir dans le Mal et attirer à lui d'autres hommes qui finissent par se laisser happer par la violence. Le roman est construit non pas en chapitres mais en tableaux, inspirés directement des maîtres de l’âge d’or néerlandais.
Aux côtés de Jeanne
Tout le monde connaît l’histoire de Jeanne d’Arc, des « voix » qui lui ont ordonné de « bouter les Anglois hors de France », comment elle parvint à faire couronner le dauphin sous le nom de Charles VII à Reims, le 17 juillet 1429, et comment, oubliée par le roi, trahie par le félon Jean de Luxembourg, elle mourut sur un bûcher. Dans « le Bon cœur » (3), sous la plume de Michel Bernard (dont l’œuvre revisite la vie de personnages célèbres ou des faits historiques), cette histoire prend une ampleur et une immédiateté surprenantes. L'auteur fait de nous les spectateurs et presque les participants des péripéties de ce qui allait être le sauvetage du royaume de France. À commencer par la gifle qui cingla le visage de la jeune fille de 17 ans venue demander au sire de Baudricourt des soldats afin de rétablir le roi sur le trône.
Avec « l’Honneur du samouraï » (4), qui nous mène au Japon au XVIIe siècle et fait revivre le guerrier de légende Musashi Miyamoto (après « Samouraï », qui retraçait ses jeunes années), on entre dans le grand romanesque. Installé au Japon depuis dix ans, le Britannique David Kirk a eu fort à faire avec ce sabreur demeuré invaincu après plus de soixante duels et qui fut aussi un artiste, un calligraphe et un écrivain, auteur notamment du « Traité des Cinq Roues », un livre de stratégie. Dans ce tome, après avoir été vaincu par les Armées de l’Est qui ont renversé l’ancien pouvoir, il refuse de se soumettre aux exigences de l’Honneur, l’une des sept vertus du samouraï, voulant qu’il se donne la mort. Considéré comme un ennemi de la nation, il doit alors aiguiser son sabre afin de préparer sa vengeance.
En Espagne
Faire de la création artistique, du mystère de l’art, le fil rouge de « la Rose de Saragosse » (5), un roman qui revient sur les persécutions des Juifs d’Espagne au XVe siècle, est le défi de Raphaël Jerusalmy (« Sauver Mozart »). Quand le Dominicain Torquemada arrive à Saragosse, c’est pour venger l’assassinat du Grand Inquisiteur d’Aragon, commandité par un juif converso, mais aussi pour attraper l’auteur des gravures satiriques placardées sur les murs de la ville qui le brocardent. Les investigations d’un vague hidalgo à la solde des plus offrants, par ailleurs remarquable portraitiste, le conduisent auprès d'un riche seigneur converti et de sa très belle et très raffinée fille, excellente graveuse elle aussi. Dans ce roman bref et dense, l’art, l’amour, l’aventure et la liberté mènent le bal.
Le journaliste catalan Victor Amela s’est inspiré de faits qui se sont déroulés dans la région de Valence dans les années 1840 pour écrire « la Fille du capitaine Penarrocha » (6), prix Ramon Llull en 2016 et le premier de ses livres à paraître en France. Parce qu’il a été dépossédé de sa ferme par les libéraux, un partisan de Charles V de Bourbon décide, de retour d’exil en France après la défaite du premier soulèvement carliste, de reprendre le combat, soutenu par sa fille Manuela. Une fresque historique qui plonge le lecteur dans cette guerre civile qui opposa la monarchie absolutiste et le catholicisme aux libéraux adeptes de progrès.
(1) Julliard, 155 p., 18,50 €
(2) Actes Sud, 290p., 21 €
(3) La Table Ronde, 234 p., 20 €
(4) Albin Michel, 522 p., 22,90 €
(5) Actes Sud, 190 p., 16,50 €
(6) Belfond, 363 p., 21,50 €
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