Le gouvernement a diffusé à dose filée les statistiques sur la progression de la criminalité et de la délinquance. Embarrassé par une progression de 7,61 %, annoncée officiellement lundi, il avait laissé entendre la veille qu'elle dépasserait les 8 %, façon de relativiser après coup un pourcentage particulièrement élevé.
Comme pour les autres échecs du gouvernement, l'opposition en a fait un argument électoral de plus, qui s'ajoute aux trois censures du Conseil constitutionnel et à la forte progression du chômage depuis sept mois.
Une autre exception
Mais rien ne prouve que la droite au pouvoir aurait mieux fait dans le domaine de la sécurité. La querelle politique a moins d'intérêt, d'ailleurs, que la réalité quotidienne telle que la vivent les Français.
Les chiffres de 2001 soulignent une autre exception française : la croissance de l'emploi pendant les années 1997 à 2000 n'a pas joué en faveur d'une réduction de la délinquance ; le malaise exprimé par la police et par la gendarmerie semble encore plus fondé aujourd'hui. Non seulement le manque de moyens et d'effectifs freinent la lutte contre la criminalité, mais le bond en avant d'un nombre de crimes et de délits (4 millions et plus en 2001) coïncide avec l'application de la loi sur la présomption d'innocence, actuellement en cours de réfection.
La tolérance du gouvernement pour les comportements hors la loi a donc contribué à la hausse de la criminalité ; son aversion pour les techniques de répression, son désir de décongestionner le système carcéral, son indulgence pour cette partie de la jeunesse qui, certes, est frustrée, mais opte pour l'illégalité presque systématiquement, son indifférence aux cris d'alarme lancés par les éducateurs, les policiers et les médecins, relèvent de sa seule responsabilité. Même si, comme le dit François Bayrou, candidat UDF à la présidence, la hausse de la criminalité est en France un mal profond qui plonge ses racines dans le passé et n'a peut-être jamais été combattu avec toute la vigueur requise.
Nous avons pris le parti, en France, de nous moquer du système américain, très répressif et peu sensible aux causes sociales de la délinquance. Nous avons dénoncé la hausse de la population carcérale aux Etats-Unis (2 millions de détenus sur une population de 270 millions). Incapables d'héberger les détenus dans un nombre insuffisant de prisons, nous en avons remis en liberté une grande partie.
Nous ne nous sommes pas davantage attaqués aux facteurs sociaux de la délinquance, notamment du commerce de la drogue dans les cités, en tout cas pas assez. La lutte contre la criminalité constitue l'un de ces domaines auxquels nous n'avons pas consacré assez d'argent pendant les années de croissance. Les chiffres publiés lundi ne font que confirmer la gravité d'un problème ressenti par la population dans la vie de tous les jours.
Les victimes sont pauvres
S'il y a un point sur lequel le gouvernement est impardonnable, c'est son laisser-faire dans un domaine qui aurait dû figurer en tête de ses préoccupations sociales. Ce sont les plus pauvres d'entre nous qui subissent le choc de la criminalité ; c'est dans les quartiers pauvres que se produisent vols, viols et crimes ; ce sont des travailleurs appartenant à la classe moyenne, conducteurs de bus, contrôleurs de métro ou de train, commerçants dans les cités, SMICards rentrant chez eux par un moyen de transport public, jeunes filles des banlieues, qui sont les plus souvent agressés. Là encore, le gouvernement nous a fourni de subtiles analyses sur le drame personnel des agresseurs, leur pauvreté, leur oisiveté, leur déchéance, comme si leurs victimes avaient mérité leur sort. Comme si le choix de la majorité pacifique, qui trime pour boucler ses fins de mois, était moins louable que celui d'une minorité qui lutte contre la misère au moyen de la drogue et des dérivés, l'agression, le vol, l'incendie criminel, le mépris des lois.
Deux actions
Cependant, quelles que soient les responsabilités récentes du gouvernement actuel ou plus lointaines des gouvernements précédents, le problème de la criminalité exige deux actions : une action à court terme qui consistera à ne jamais accepter ce que la loi interdit, des graffiti aux vols de sac à main en passant par une foule d'actes et de comportements non conformes au civisme ; et une action à plus long terme qui, en réalité, n'a jamais été mise en œuvre et qui nécessitera un budget considérable pour reconstruire les cités, imposer vraiment l'école obligatoire, faire régner la discipline dans les établissements scolaires, même en appliquant des sanctions sévères, et procéder enfin à l'éducation de ces parents qui, entre le chômage et l'alcool, finissent par démissionner.
Si l'autorité régresse en France, si elle disparaît complètement dans certains quartiers, c'est parce que nous appartenons à une société qui a peur de faire peur. A une société, aussi, qui confond souvent le crime et la révolte, et trouve donc de bonnes raisons à ceux qui justifient leurs actes par leur propre détresse. Certes, on ne doit pas l'ignorer, mais si on n'en combat pas immédiatement les effets, on envoie aux victimes un message très dangereux, où l'autodéfense et même le mimétisme criminel sont inscrits en filigrane.
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