Le 10 octobre 2001, les Drs Olivier Laverdure et Georges Hauss, généralistes associés de Chevilly-Larue, exercent encore dans une tour de 18 étages à la cité des Sorbiers. Mais « à cause de l'insécurité, les gens de l'extérieur ont peur de venir à la consultation l'après-midi, entre 17 heures et 19 h 30, notamment l'hiver. Ce n'est pas très accueillant de tomber, au milieu de la rue, sur 20 dealers encasquettés », explique le Dr Laverdure, dont le père a créé le cabinet médical en 1961. « Aussi, nous nous sommes sauvés, dit-il au "Quotidien", bien que, personnellement, nous n'ayons jamais été ennuyés, si ce n'est la crainte de voir notre voiture brûlée, la nuit venue ».
C'est la rentrée « chaude » de septembre-octobre derniers, avec ses « véhicules et poubelles régulièrement incendiés » - « et ça dure sans que les flics ne se déplacent » -, qui a précipité les choses. « Tout a commencé à se dégrader vers 1986, époque où nous avons cessé d'assurer les visites après 14 heures et la nuit », se rappelle le praticien, dont beaucoup de patients souhaitent quitter Chevilly-Larue. « Encore faut-il avoir l'argent nécessaire. »
Aujourd'hui, les Drs Laverdure et Hauss travaillent à 300 mètres des Sorbiers , « dans un petit immeuble, sur une avenue passante, ce qui change du tout au tout pour la clientèle » et les médecins. Maintenant, les 6 000 habitants des Sorbiers, soit le tiers de la population communale, se retrouvent sans cabinet médical, ni officine.
A la Saussaie, quartier voisin, « moins touché » par la violence, exercent les Drs Hervé Boukhobza et Hadjaj.
Pas de solution
Pour le Dr Christian Chenay, l'un des dix omnipraticiens de la localité (4 pharmacies et 3 spécialistes), « on ne voit pas de solution » à l'insécurité. « On connaît la vingtaine d'individus qui font régner l'insécurité, on sait en conséquence qui fait quoi, mais rien ne bouge », insiste-t-il. « Je n'ai aucun espoir que ça change », affirme, sur le même ton, pas désabusé, mais lucide, le Dr Laverdure. Il faut avoir vécu là où le non-droit se traduit par le trafic de drogues, poursuit le généraliste, pour savoir qu'effectivement mieux vaut, pour les pouvoirs publics, laisser le système en l'état que de l'éradiquer, ce qui provoquerait des émeutes.
En somme, c'est le sauve-qui-peut. En 2000, le Dr René Frot a été ligoté et dessaisi de sa carte bancaire : sa fille, « très affectée », qui était associée avec lui, a tourné la page du libéralisme pour se consacrer à la médecine du travail. « Ne parlons pas des gardes de nuit, déclare le Dr Christian Chenay. Aucun d'entre nous n'y participe plus. Nous recourons à une dizaine de remplaçants, parmi lesquels une femme qui se fait accompagner par son mari non-médecin. Nous en arriverons à nous doter d'une maison médicalisée, bien encadrée, pour les urgences, de type SAMU », imagine le généraliste, qui signale que, à Thiais et à Villejuif, les gardes « ont carrément explosé » parce qu'on n'a pas mis en place une formule adaptée aux risques du métier.
A la mairie, « nous avons su très récemment que des médecins ne pouvaient pas travailler correctement », confesse Jacques Verrier, conseiller municipal, délégué à la Vie des quartiers.
Jacqueline Grymonprez, maire adjointe chargée de la Santé, semble tout aussi étonnée ; mais elle sait « qu'ils en avaient marre d'êtredans une tour ». Avec deux inspecteurs, un gardien et un agent de sécurité, Chevilly-Larue, de toute façon, doit vivre comme si tout allait bien. Il y a 168 policiers dans la ville d'à côté, à L'Haÿ-les-Roses (28 000 habitants), mais ils sont affectés principalement à la surveillance du marché d'intérêt national de Rungis.
Des maires au ministère de l'Intérieur
Aujourd'hui 7 septembre, c'est toute la circonscription qui se mobilise contre la violence. Les édiles communistes et socialistes de Chevilly-Larue, de L'Haÿ-les-Roses (député-maire, Patrick Sève) et de Fresnes, ainsi que ceux de l'opposition à Thiais et à Rungis, doivent être reçus place Beauvau, à Paris, au ministère de l'Intérieur, tandis que les médecins vont dialoguer, pour la énième fois, avec leurs représentants chargés de la sécurité.
« Ne nous leurrons pas, prévient le Dr Olivier Laverdure, la violence est enkystée dans la vie de nos quartiers, banalisée, nourrissant une économie parallèle. Dans ce contexte, par ailleurs préélectoral, les politiques n'ont pas envie d'intervenir, ce serait trop explosif. La solution, bien sûr, consisterait à recourir à la force publique et de faire jouer la justice partout où l'on commet des délits. »
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