EN ORGANISANT une conférence sur le droit à l'avortement en Europe, les 19 et 20 septembre à Paris, le MFPF veut créer un lieu d'échange consacré à cette question de santé publique, qui ne peut être débattue au sein de l'Union européenne (UE), à un moment où celle-ci est présidée par Nicolas Sarkozy. «Dans l'ensemble de la zone Europe, les femmes, dans leur majorité, disposent d'un accès organisé à l'IVG. Mais son environnement apparaît en danger, sous la pression de groupes d'opposants qui trouvent un écho dans la sphère politique. Fréquemment, l'énoncé des lois ne correspond pas à la pratique», explique au « Quotidien » Françoise Laurant, présidente du MFPF.
En Italie – où le Planning familial a dû déposer son bilan au printemps –, 70 % des gynécologues font jouer la clause de conscience. Autre exemple, la Lituanie, où une loi adoptée au début de l'été «réduit la famille à un couple marié à l'église, ce qui pourrait ouvrir la porte à une IVG tolérée non plus pour des motifs psychosociaux, mais seulement liés au viol» (voir encadré).
Un tabou et un droit précaire.
«Bien qu'on n'imagine pas un renversement de la loi Veil du 17janvier 1975**, l'avortement reste de l'ordre du tabou et un droit précaire au regard de son application, pense également le Dr Marie-Laure Brival, présidente de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC). Il n'est qu'à voir dans le secteur public la gynécologie-obstétrique, qui, depuis trois ans, doit se constituer en pôle avec d'autres services hospitaliers pour répondre à l'obligation de rentabilité. De ce point de vue, l'IVG à 250euros*** ne fait pas le poids. Il faudrait un forfait à 800euros, à l'instar d'un acte technique, tel que l'aspiration pour fausse couche.»
«Ainsi, décrit le Dr Brival, ici, on maintient les IVG tant bien que mal, là, on les abandonne. En région parisienne, la notion de profit se révèle si importante que leur nombre enregistre une baisse de 7 à 13% dans les établissements de soins publics; dans le privé, quand on n'y renonce pas, on les fait passer pour des fausses couches.»
« Un être humain en miniature ».
«Parallèlement, les mentalités, française et européenne, changent, poursuit la responsable de l'ANCIC. Une femme enceinte découvre à l'échographie, dès la 12esemaine d'aménorrhée, un être humain en miniature. Les pouvoirs publics viennent d'autoriser l'inscription sur un registre d'état civil et sur le livret de famille du prénom d'un foetus né sans vie, quel que soit son état de développement****. Il s'y mêle une dimension éthique, l'état d'esprit ambiant confortant l'idée qu'on pourrait s'acheminer vers la reconnaissance d'une personnalité juridique. Le désir de maternité tardive (39-40ans) participe du même élan: la femme investit l'embryon tout de suite en tant que personne. D'une manière générale, la tendance va à la valorisation de la grossesse, le phénomène n'épargnant pas les adolescentes (voir ci-dessous). De leur côté, morale et religion, catholicisme et islam s'invitent plus que jamais dans le champ de la santé publique. La Pologne en est l'exemple fort, auquel s'ajoute le “non” irlandais à la Constitution européenne, le 12juin 2008, motivé pour partie par l'avortement (son interdiction demeurant la règle depuis 1861). Comment, dès lors, rappeler le droit à l'IVG, cette dernière renvoyant dans les esprits à un crime?»
Sous la bannière « Liberté, égalité, sexualités », le MFPF sonne l'heure de la mobilisation, afin d' «inverser ce mouvement de recul» qui «plombe» l'avortement, à laquelle souscrivent les médecins du secteur public. La démarche n'est pas sans précédent. En 2002, un rapport de la députée européenne belge Anne Van Lancker, adopté par Bruxelles et le Parlement de Strasbourg, recommande une uniformisation vers le haut des législations. Le 16 avril 2008, les parlementaires des 47 pays membres du Conseil de l'Europe votent un texte prônant la dépénalisation, là où ce n'est pas encore fait, et garantissant «un choix libre, éclairé et autonome». Et, en juillet dernier, le comité des droits de l'homme des Nations unies demande à l'Irlande de modifier sa réglementation, qui n'offre aux Irlandaises qu'une liste de centres d'orthogénie en Angleterre disponible au Planning familial de Dublin.
Roselyne Bachelot, à la fois «politique» et attentive à la cause des femmes, clôturera, le 19 septembre, le colloque européen du Planning.
* Maison de la Mutualité (5e). wwww.planning-familial.org. Tél. 01.48.07.29.10.
** Modifiée par la loi du 4 juillet 2001 fixant le délai légal de recours à l'IVG à 12 semaines de grossesse.
*** Réévaluée en mars 2008 (de 20 %), ce qui n'avait pas été le cas depuis 2004.
**** Le jugement de la Cour de cassation du 6 février 2008 plus 2 arrêts et 2 décrets des ministères de la Santé et de la Justice du 22 août dernier.
Lois et chiffres
En Europe, à l'exception de Malte et de l'Irlande (opposants constitutionnels), le recours à l'IVG est autorisé partout, mais pas toujours appliqué ou parfois uniquement sur indications médicales ou en cas de viol, comme à Chypre et en Pologne.
En République tchèque, en Slovénie, en Slovaquie, en Lituanie, en Hongrie et en Italie, l'IVG demeure une pratique exclusivement chirurgicale.
La législation permet l'avortement jusqu'à 10 semaines de grossesse en Slovénie, 18 en Suède, 24 au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, 12 dans les autres pays, dont la France.
La Hongrie, la Lettonie et l'Estonie ont le plus fort taux d'IVG, 20 pour 1 000 femmes en âge de procréer, devant la France, 14,6 ; la moyenne européenne est de 11,2
En France, on recense de 20 à 22 IVG pour 1 000 femmes en âge de procréer en Ile-de-France et Languedoc-Roussillon, 23 en Martinique, 40 en Guadeloupe. Le taux est de 22,9 à 18-19 ans, 27 à 20-24 ans, 23,4 à 25-29 ans.
Les trois quarts (74 %) des IVG sont réalisées chez des femmes de 18 à 35 ans.
Les IVG médicamenteuses (en médecine de ville depuis 2004) représentent 45 % du total.
Soixante-dix pour cent des avortements se font dans le secteur public.
Les recommandations des Drs Rozan (SYNGOF) et Nisand
Informer dès le collège
Le Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France (SYNGOF), avec à sa tête le Dr Marc-Alain Rozan, propose, ainsi que l'ANCIC, des cours sur la physiologie et la sexualité, de 2 ou 3 heures en 4e et en 3e, dispensés par un corps de médecins spécialistes constitué sur propositions des deux organisations. Actuellement, «des enseignants et infirmières, pas assez formés», interviennent dans le cadre des sciences de la vie et de la terre, en classe de seconde et de première.
Le Pr Israël Nisand (Strasbourg), qui, lui aussi, dénonce «un nombre d'IVG irresponsable» (220 000 par an), suggère une sensibilisation à partir de la 6e, à raison de 4 ou 5 heures annuelles, par des profs préparés à cette tâche lors de leur formation initiale, avec le concours de «ressources extérieures».
Contraception anonyme et gratuite pour les mineures
Pour le Pr Nisand, «les jeunes filles paient le prix du tabou de la sexualité avec 13400IVG, qui progressent de 1% chaque année. Il conviendrait, affirme-t-il, de mettre en place des modalités de paiement respectant la confidentialité, comme cela existe pour l'avortement ou le traitement du sida».
Renouvellement d'ordonnances de pilules par les infirmières
Cette mesure, annoncée par le ministère de la Santé, est à assortir de conditions, estime le SYNGOF. «La reconduction ne doit intervenir qu'une fois, pour une durée ne dépassant pas 6mois, et s'accompagner d'une traçabilité.»
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