L’UNE DES RAISONS pour lesquelles Ghislaine Sicre a décidé de quitter son poste d’infirmière à l’hôpital et de s’installer en libéral tient dans cette réflexion : «On n’avait pas notre mot à dire.» Une douzaine d’années plus tard, les choses ont bien changé entre professionnels de santé.
«Cela fait dix-sept ans que je travaille dans le même secteur géographique. Alors, je connais bien les généralistes avec qui je travaille. Je peux les appeler quand j’ai un souci, on peut se donner rendez-vous pour un pansement et, derrière cela, prendre ensemble une décision.»
D’exécutantes à collaboratrices.
«Un jour, je me suis retrouvée chez un patient qui avait besoin d’un pansement. J’ai appelé un médecin et je lui ai demandé la prescription d’un antiseptique. J’avais précisé “style Betadine” . J’avais choisi celui-là précisément car c’est celui qu’il avait l’habitude de prescrire. Eh bien, curieusement, il en a marqué un autre...»
D’exécutantes, les infirmières semblent avoir indéniablement gagné le rang de «collaboratrices» des médecins prescripteurs.
A Saint-Gaudens (Haute-Garonne), où pratique Ghislaine Sicre, les infirmières libérales travaillent essentiellement en collaboration avec des généralistes. Et de plus en plus avec des cancérologues, pour les soins pré- (prises de sang) ou post- (retrait des perfusions) chimiothérapiques à l’hôpital. «Nous intervenons plus tôt qu’avant», constate-t-elle.
Les contacts sont peut-être moins fréquents avec les spécialistes. Mais tout dépend de la spécialité. «Les psychiatres sont très attentifs au suivi de leurs patients qui retournent à leur domicile. Ils nous sollicitent beaucoup. Pour les enfants qui souffrent de lourdes pathologies, c’est la même chose. Nous organisons avec les médecins hospitaliers des colloques, qui se déroulent généralement dans le cabinet du médecin traitant. Y participent également les psychologues, le kiné... Ces réunions nous apportent énormément. D’abord parce que nous ne sommes pas toujours bien formées aux soins palliatifs, admet-elle , et aussi parce que cela nous permet de parler de nos difficultés en tant que soignants.»
Tape dans le dos.
Depuis 1986 qu’il exerce à Aspiran, dans l’Hérault, William Livingston ne connaît lui non plus aucune difficulté relationnelle avec les médecins de son secteur. Question de personnalité, dit-il. «Les rapports sont avant tout fonction de la personnalité, de l’état d’esprit et du comportement du médecin et de l’infirmière.» C’est peut-être aussi parce que William est infirmier, pas infirmière. «Il me semble en effet que la relation professionnelle d’homme à homme se noue plus rapidement, se forme tout de suite de façon plus confraternelle. Le contact est plus rapide», convient-il.
Le secteur joue également. «La ville est plus anonyme, le patient est beaucoup plus nomade, donc confronté à davantage de médecins. Dans mon village, tout le monde se connaît. Les médecins me font la tape dans le dos.» En libéral, «comme l’infirmier voit le patient quotidiennement, voire biquotidiennement, il en devient le référent. La concertation entre professionnels autour du même patient est renforcée. Et le fait que l’infirmier travaille seul et non dans une structure induit l’esprit même de “l’action soignante”. Le patient chez lui est un “patient-client”».
Autonomie revendiquée.
L’arrivée des jeunes générations semble avoir quelque peu balayé la horde de mandarins et autres grands manitous de la médecine. «Les jeunes médecins sont probablement mieux formés à plus de collaboration avec les autres professionnels», estime Ghislaine Sicre. «Ça coince encore un peu, certaines réticences se font encore sentir pour certaines prescriptions. Il faut parfois prendre des gants», renchérit Marie-Claude Calves, infirmière à Marseille.
Chacun des protagonistes a sa part de responsabilité dans l’évolution de la relation. Les médecins ont changé, certes, mais les infirmières aussi ont fait en sorte que cela change. William Livingston, qui est par ailleurs syndiqué, le souligne. «Je crois que l’infirmière a elle-même pris une certaine conscience de son autonomie par rapport au pouvoir médical. Et pour certaines pathologies, notamment dans le cas de personnes dépendantes, atteintes par exemple des maladies d’Alzheimer ou de Parkinson, l’infirmière intervient certes sur prescription du médecin, mais peut désormais poser par la suite un diagnostic et définir certaines actions thérapeutiques. Et cela devrait bientôt s’étendre...», se réjouit William Livingston. «Nous sommes en train d’obtenir la prescription de matériel, toujours dans le cadre de maintien de personnes à domicile (fauteuil “garde-robe”, collecteur d’urine...).» L’arrêté du 28 juin 2002 a en effet consacré l’autonomie de l’infirmier dans l’organisation des soins autour d’un patient dépendant. Secondairement à l’ordonnance initiale de DSI (démarche de soins infirmiers) du médecin traitant qui constate la nécessité d’une prise en charge, l’infirmier, après un bilan initial, peut prescrire à son tour les détails techniques de son intervention.
Les médecins deviendraient-ils les ordonnanciers des infirmiers ? «C’est vrai que les rôles semblent presque s’inverser», s’amuse Marie-Claude Calves. Sans aller jusqu’à l’inversion, l’avenir de ces relations professionnelles semble bel et bien ancré dans la collaboration.
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