DANS UN CONTEXTE électoral, les soignants donnent de la voix et se laissent caresser par les politiques dans le sens du poil. Si les candidats à l'Elysée ont boudé pour une fois les Assises du Cnps (Centre national des professions de santé), ce qui a provoqué leur annulation, Nicolas Sarkozy et François Bayrou sont venus en personne le 8 février au congrès de l'Unapl (Union nationale des professions libérales). Le candidat de l'UDF n'a pas manqué non plus le rendez-vous du MEDEC. Les uns et les autres ont aussi sacrifié à la tradition de la visite en milieu hospitalier, en Ile-de-France, à Bordeaux ou dans la Nièvre.
Les médecins font bien sûr partie des corporations très courtisées et ménagées, surtout par la droite. Dans un sondage Ifop-« le Quotidien » au début de février, 46 % des médecins libéraux (majoritaires dans la profession) se prononçaient en faveur de Nicolas Sarkozy, tandis que 24 % optaient pour François Bayrou et 18 % pour Ségolène Royal.
Or un soutien pareil à droite, ça se paye. Les syndicats médicaux ne se privent pas d'engager des bras de fer – souvent avec succès – à l'approche d'élections : bataille pour la consultation généraliste à 20 euros en 2002, lobbying fin 2006 pour un bonus de 200 millions d'euros sur l'enveloppe des soins de ville (avec l'appui de nombreux élus médecins au parlement)…
Certes, la Csmf et le SML n'ont pas obtenu l'alignement du C sur le CS du spécialiste à 23 euros dès 2007, comme ils l'exigeaient. Mais ce n'est pas faute d'avoir reçu d'ostensibles appels du pied des candidats de l'UMP et de l'UDF en ce sens. A gauche, Ségolène Royal a estimé que «le mécontentement des généralistes est bien naturel», quoique la candidate du PS se soit gardée de faire des «promesses inconsidérées».
D'une manière générale, les programmes présidentiels évitent soigneusement les mots qui fâchent les praticiens. «Les candidats en campagne font d'autant moins de propositions sur la santé qu'ils ont peur d'éventuelles protestations des médecins, des infirmières, des ambulanciers, capables de tout bloquer…», observe un expert écouté du secteur.
En période électorale, les dirigeants de mouvements mutualistes et d'associations de patients sont bien les seuls à oser remettre en cause la qualité du système de santé, voire à attaquer de front les tables de la loi de la médecine libérale, comme la sacro-sainte liberté d'installation et le paiement à l'acte (1).
La « rumeur » de 1997.
Du côté des politiques, on se méfie trop des réactions épidermiques du corps médical depuis la dissolution de l'Assemblée nationale au printemps 1997 et la défaite de la droite aux élections législatives qui ont suivi. Maints élus sont convaincus que la défection des professionnels de santé a beaucoup compté dans le résultat de ce scrutin. En outre, certains soutiennent l'hypothèse selon laquelle le vote sanction des médecins libéraux (outrés par les mesures draconiennes du plan Juppé) aurait alors fait tache d'huile chez les électeurs, grâce à l'ascendant dont bénéficient les praticiens auprès de leurs patients.
Mythe ou réalité ? Au Centre d'études de la vie politique française (Cevipof), on évoque prudemment cette «rumeur», sachant que le phénomène «n'a pas été réellement mesuré», car les chercheurs du Cevipof n'ont mené aucune étude sur le sujet.
«Traditionnellement, dans l'histoire des élections françaises, le vote est surtout déterminé par des éléments structurels, comme la profession, l'âge, le sexe ou la région d'appartenance», explique Frédéric Dabi, directeur du département opinion publique de l'institut de sondage Ifop. Et cette règle vaut bien sûr pour le corps médical comme pour le reste des électeurs.
Dans ces conditions, les événements conjoncturels et le supposé pouvoir d'influence des soignants ne peuvent que jouer un rôle mineur. Encore que les temps changent… «Avec la multiplication des moyens d'information, note Frédéric Dabi, certains éléments conjoncturels ont un impact plus important: cela peut être une conversation, une émission de télévision, un événement de campagne(2). On a maintenant des électeurs “consommateurs” ou “zappeurs” susceptibles de transgresser les règles de vote traditionnelles.»
Surtout, la campagne actuelle est marquée par une «très forte indécision», rappelle Frédéric Dabi, puisque environ une personne sondée sur deux déclare soit qu'elle peut encore changer d'avis, soit qu'elle n'a pas fait son choix. Il est donc encore permis de croire que «les médecins ou les pharmaciens, à l'instar du curé ou des autres notables autrefois, peuvent exercer une influence sur ces indécis», poursuit cet analyste de l'Ifop.
D'autres décèlent au contraire une forme de manipulation dans l'expression même de l'indécision, ou dans la volatilité des réponses aux sondages, devenus récemment plus favorables au candidat de l'UDF. Hésiter ou changer d'opinion au fil des enquêtes reviendrait en fait à adresser un message spécifique, et le corps médical – encore lui – ne serait pas étranger à cette nouvelle tactique. «Bayrou est instrumentalisé par un certain nombre de catégories professionnelles, les médecins, les profs, les cadres qui ne veulent pas de Sarko et qui attendent davantage de nous», avance le socialiste Arnaud Montebourg, porte-parole de Ségolène Royal, dans les colonnes du « Monde » (3).
Tout compte fait, si le résultat des urnes réserve quelques surprises le 22 avril, les médecins pourront toujours dire, comme Cocteau : «Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs…»
(1) Propos du président de la Mutualité française, Jean-Pierre Davant, dans une tribune publiée par « le Monde » du 7 mars et dans un entretien aux « Echos » daté du 12 mars ; appel lancé conjointement le 6 mars par les présidents de la Fédération des mutuelles de France (FMF), du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), de l'association Aides, et par le secrétaire général de l'Association des accidentés de la vie (Fnath).
(2) Les « événements de campagne » de 2002 furent notamment la gifle donnée par François Bayrou à un gamin chapardeur et la déclaration de Lionel Jospin sur Jacques Chirac « vieilli, usé ».
(3) Cité dans « le Monde » du 9 mars.
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