LUNDI ENCORE, c'en était fini, dans bon nombre d'esprits, d'Hillary Clinton. Dès lors qu'elle avait perdu les onze consultations précédentes, elle ne pouvait, selon la presse américaine, nourrir aucun espoir. Les meilleurs analystes examinaient les raisons de sa défaite annoncée : elle n'avait pas vu venir Barack Obama ; elle croyait qu'elle serait investie dès le Supertuesday. A tel point que sa campagne n'avait pas prévu de faire au-delà du mois de mars des efforts très intenses. Elle n'était donc pas préparée à la suite des primaires.
Une presse hostile.
Hillary Clinton a été victime, certes, des certitudes trop confortables qui l'ont conduite à minimiser la candidature Obama ; elle a cru, prématurément, qu'elle serait la candidate naturelle du parti démocrate ; lorsqu'elle a essuyé sa première défaite, dans l'Iowa, son mari, Bill Clinton, a réagi avec amertume, ouvrant avec Obama un débat qui a nui aux démocrates dans leur ensemble, jusqu'à ce que Mme Clinton elle-même demande à son époux de se calmer.
Elle a eu alors à se battre non seulement contre la dynamique Obama, qui semblait tout emporter sur son passage, mais contre une presse qui lui est résolument hostile. Dans « Newsweek », la semaine dernière, un éditorialiste célèbre, Jonathan Alter, l'encourageait à se désister immédiatement pour quitter la campagne avec grâce. Absurde : une campagne politique est, par essence, et dans toute vraie démocratie, un combat d'une cruauté infinie.
Mercredi matin, j'entendais des journalistes américains dire que « la campagne négative » d'Hillary Clinton avait fini par porter ses fruits, comme si M. Obama se privait de la démolir par tous les moyens dont il dispose. J'ai aussi entendu en France le commentaire d'une personnalité de la télévision parfaitement ignare attribuant à Mme Clinton la mention répétée du deuxième prénom de M. Obama, Hussein, ce qu'elle n'a fait en aucune circonstance. M. Obama est né d'un père musulman, il est maintenant chrétien. Et ni Mme Clinton, ni son mari, ni sa campagne ne lui ont jamais cherché querelle à propos de ses origines, ce qui aurait été du plus mauvais goût.
Jusqu'en août ?
C'est pour toutes ces raisons que la relance de la campagne de Mme Clinton est stupéfiante. Malheureusement, cette course à deux gagnants divise les démocrates au moment où McCain s'impose comme le candidat des républicains. On dit beaucoup que « tout va se jouer » le 22 avril en Pennsylvanie, mais en réalité personne n'en sait rien. Il semble que le parti va arriver à la convention, le 25 août à Denver, sans que le peuple démocrate ait choisi. Les superdélégués, donc l'appareil du parti, risquent de devoir trancher, ce qui ne conviendra pas au perdant, qui se plaindra d'avoir été écarté artificiellement. On n'est pas loin de revoir la tragi-comédie de 2000 quand Bush a gagné la présidentielle parce que la Cour suprême, mais pas les électeurs, en a décidé ainsi.
Il s'agit bel et bien d'une campagne à nulle autre pareille dont les rebondissements vont se poursuivre. On note une analyse selon laquelle le parti républicain, enfin réuni, va l'emporter contre un adversaire indécis, hésitant et divisé. Rien n'est moins sûr : John McCain est le candidat des républicains, mais ils vont maintenant faire en sorte qu'il leur ressemble. Le soutien officiel de George Bush à McCain, leur entrevue de mercredi, les propos plus prudents que prononce le sénateur de l'Arizona, tout indique que McCain va rentrer dans le rang en insistant davantage sur ce qu'il a de conservateur que sur ce qu'il a d'électron libre.
LE COURAGE, LA RESISTANCE PHYSIQUE ET MORALE DE Mme CLINTON SONT IMPRESSIONNANTS
Baiser empoisonné.
Toutefois, dans une Amérique qui a tellement besoin de changement qu'elle porte Barack Obama aux nues, que vaut un candidat de la continuité ? Si, au projet démocrate de taxer les riches, d'instaurer un système de soins universel et de mieux répartir les revenus, McCain oppose la continuation de la guerre en Irak et en Afghanistan, et peut-être un nouveau conflit avec l'Iran, pendant que l'oligarchie se sera assurée de sa bienveillance, comment compte-t-il être élu ? En vérité, c'est un baiser empoisonné que Bush dépose sur sa joue. La candidature de McCain est vouée à l'échec s'il renonce à représenter la droite républicaine ; et vouée également à l'échec s'il énonce une plate-forme d'inspiration démocrate ou même simplement éclectique.
Non, les jeux ne sont pas faits. Le redressement spectaculaire d'Hillary Clinton, qui ne suffit pas à renverser Obama, montre non seulement qu'une grande démocratie est imprévisible, mais aussi que les candidats de cette année ont une très forte personnalité. Mme Clinton perdra peut-être en définitive ; en attendant, elle aura prouvé son courage, sa capacité à encaisser les coups, sa résistance physique et morale (elle ne semble pas affectée par plusieurs revers à la fois), sa grâce devant l'adversité, sa volonté indomptable d'obtenir le job. Comme Nicolas Sarkozy naguère, Mme Clinton ne veut pas seulement gagner ; elle veut gouverner pour changer les choses. Que Barack Obama incarne le changement, qu'il soit jeune, brillant, enthousiasmant montre qu'il fallait plus à Hillary que la légitimité dans laquelle elle s'est drapée au début de la campagne : comment elle est passée d'un voyage serein à une tempête mortelle, comment elle a su affronter les obstacles, le dénigrement et les humiliations, c'est l'histoire d'une femme exceptionnelle qui, quoi qu'il arrive, sortira grandie de la bataille.
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