SELON LES ESTIMATIONS, plus de la moitié de la population mondiale serait infectée par Helicobacter pylori et aurait donc un risque accru d'ulcère peptique et de cancer gastrique. Pour survivre dans l'estomac, parfois pendant des décennies, la bactérie a recours a de nombreuses astuces. Notamment, elle se fixe aux cellules de l'épithélium gastrique afin de ne pas être emportée par les processus digestifs et y prélève les nutriments indispensables à sa survie.
Ce besoin d'adhérer a l'estomac pourrait être son talon d'Achille. On cherche donc à mieux comprendre cette adhésion, dans l'espoir de développer de meilleures approches préventives ou thérapeutiques, notamment un vaccin.
Plusieurs avancées ont été faites. Il a été montré que H. pylori peut se fixer aux antigènes du groupe sanguin O, grâce à une adhésine nommée BabA (pour Blood group Antigen Binding Adhesin). La bactérie peut également se fixer aux récepteurs sélectine (antigènes sialyl-Lewis x et sialyl-Lewis b) grâce à l'adhésine SabA (Sialic acid binding Adhesin).
De nouveaux éclaircissements sont apportés par une équipe internationale, dirigée par le Dr Thomas Boren (université Umea, Suède). Ils sont publiés dans la revue « Science ».
Bénéficiant d'un excellent réseau de collaborateurs, les chercheurs ont pu analyser quelques 400 souches d' H. pylori venant de diverses régions du monde - Europe (Suède, Allemagne, Espagne), Alaska (Esquimaux), Japon et Amérique du Sud (plusieurs populations). Ils ont examiné leurs propriétés de fixation sur les antigènes des groupes sanguins A, B, et O.
Adaptation à la population locale.
Ils ont découvert qu' H. pylori, presque partout dans le monde, se fixe aux antigènes A, B et O (souches dites généralistes). En revanche, en Amérique du Sud, la majorité (60 %) des souches amérindiennes se fixent uniquement (ou mieux) aux antigènes O (souches dites spécialistes). Cette spécialisation coïncide avec la prédominance du groupe sanguin O dans la population amérindienne d'Amérique du Sud. « Ainsi, H. pylori a adapté ses propriétés de fixation pour qu'elles correspondent aux modes de glycosylation gastro-intestinale de la population locale », explique au « Quotidien » le Dr Boren.
En détails, l'adhésine BabA se fixe au récepteur antigène Lewis b, lequel est non glycosylé pour le groupe sanguin O et glycosylé pour les groupes sanguins A et B. Ainsi, dans la majorité des populations, constituées d'un mélange de groupes sanguins A, B et O, la bactérie maintient une forme flexible de BabA pouvant se lier aux différents récepteurs Lewis b. Mais dans les populations amérindiennes où pratiquement tout individu est de groupe O, l'adhésine BabA de 60 % des souches a perdu sa flexibilité et ne peut plus adhérer qu'à la version Lewis b associée au groupe O.
Ces souches spécialistes sont proches des souches espagnoles d' H. pylori, ce qui suggère que ces adaptations ont dû survenir au fil des cinq cents années qui suivent l'arrivée des conquistadors dans le Nouveau Monde. Curieusement, l'adhésine BabA spécialiste ne s'attache pas plus étroitement à l'antigène Lewis b que l'adhésine babA généraliste. Cela suggère que le type spécialiste s'est développé, non pour conférer un avantage à la bactérie, mais par simple dégradation de la forme généraliste.
Les chercheurs suggèrent que la bactérie a tendance, au cours de plusieurs générations, à désactiver et réactiver les protéines BabA qui permettent leur fixation a l'épithélium gastrique. « Durant ces cycles, la capacité à se lier à d'autres versions Lewis b a été perdue », explique le Dr Douglas Berg (Saint Louis, Missouri), un des membres de l'équipe.
Adaptation à l'individu.
De plus, les souches diffèrent considérablement dans leurs affinités de fixation (de 1 500 fois) et les chercheurs ont pu constater une sélection dans les séquences de BabA. « H. pylori peut introduire des modifications ciblées dans BabA de façon extrêmement rapide dans une perspective d'évolution (sélection positive). Cela signifie qu'H. pylori s'adapte également à l'hôte individuel et à l'épithélium gastrique spécifique qu'il infecte, de façon à assortir sa force d'adhérence aux réponses immunes individuelles », précise au « Quotidien » le Dr Boren.
Une adhésion équilibrée serait importante, afin de ne pas susciter une trop violente réaction inflammatoire qui entraînerait une infection chronique. La capacité de désactiver les adhésines pourrait permettre aux bactéries, lorsque la réponse inflammatoire est trop forte chez certains individus, de se décrocher et de s'échapper pour aller infecter d'autres individus.
Vaccins différents ou vaccin cocktail.
Les principales implications cliniques concernent le développement de vaccins contre l'infection à H. pylori, et notamment contre la gastrite sévère qu'elle provoque.
« Ce projet a été commencé en 1992 dans l'espoir de développer des stratégies antimicrobiennes contre H. pylori, qui divergent de l'usage des antibiotiques (en raison de l'émergence de souches résistantes, rappelle le Dr Boren. Avec la découverte des adhésines BabA et SabA, nous pensons être plus près d'une telle approche. Nous avons réussi à purifier l'adhésine BabA native et, dans des études d'immunisation chez la souris transgénique (exprimant l'antigène humain du groupe O dans l'estomac), elle se montre prometteuse pour protéger contre les infections à H. pylori ».
« Les nouveaux résultats plaident en faveur de candidats vaccins légèrement différents pour les populations de diverses régions du monde, avec un vaccin pour l'Europe et les Etats-Unis et d'autres variantes pour l'Asie, l'Amérique du Sud et ainsi de suite, ou alternativement, pour développer un vaccin cocktail, incluant un mélange des divers antigènes variants BabA/SabA, de façon à garantir une efficacité dans le monde entier », conclut le chercheur.
« Science » du 23 juillet 2004, vol. 305, p. 519.
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