La notion d’une entité à part
Les principales complications malignes de l’immunosuppression sont les lymphoproliférations post-transplantation (LPT), le cancer spinocellulaire de la peau, le sarcome de Kaposi, le carcinome vulvaire et les tumeurs hépato-biliaires. Nous allons nous limiter ici aux seules LPT qui représentent 15 à 30 % des cancers développés après transplantation d’organes.
Avec l’augmentation du nombre de transplantés et de l’incidence des LPT, la notion d’une entité à part s’est affirmée. Les LPT représentent un groupe hétérogène de syndromes lymphoprolifératifs, le plus souvent associé au virus Epstein-Barr (EBV), l’agent de la mononucléose infectieuse. Les LPT proviennent d’expansions polyclonales de cellules lymphoïdes de la lignée B infectées par l’EBV, qui, par la suite, évoluent vers d’authentiques lymphomes monoclonaux B. La classification utilisée est celle de l’OMS (tableau).
Epidémiologie
Deux aspects peuvent être distingués.
Au premier plan, il y a le déficit immunitaire y compris celui induit par les traitements immunosuppresseurs. En fait, les premières descriptions de liens entre déficits immunitaires et cancers, particulièrement ceux du système lymphoïde, ont été publiées à la fin des années 1950, chez des patients atteints de déficits constitutionnels. L’incidence des cancers chez les patients atteints de syndrome de Wiskott-Aldrich a été évaluée à 7 %, 2 à 7 % chez les patients atteints de déficit immunitaire commun variable et à 10 % dans l’ataxie-télangiectasie. En plus de ces déficits immunitaires, les lymphoproliférations ont également été observées dans l’infection VIH, dans la polyarthrite rhumatoïde, le syndrome de Sjögren et chez les patients traités par immunosuppresseurs. L’incidence et la rapidité de survenue des LPT varient selon l’intensité de l’immunosuppression et du type d’organe transplanté ; après greffe hépatique, cette incidence est estimée à 2 %, 2,5 % après transplantation cardiaque et à plus de 6 % après greffe pulmonaire mais moins de 1 % après allo-SCH.
En deuxième lieu vient la réactivation de l’EBV qui est associée à plusieurs types de cancers. Après avoir été initialement isolé d’une lignée cellulaire de lymphome de Burkitt endémique, l’EBV a été, entre autres, identifié dans la maladie de Hodgkin classique et dans différentes formes de LNH. L’EBV est considéré comme le principal facteur étiologique des LPT ; son génome est détecté dans plus de 70 % des cas. La prolifération de cellules B infectées par l’EBV, chez l’individu sain, est normalement limitée par des mécanismes immunologiques complexes. Le mécanisme principal est certainement la réaction contre des antigènes viraux, médiée par les lymphocytes T. L’inhibition par le traitement immunosuppresseur chez les transplantés des lymphocytes T est responsable d’une prolifération incontrôlée des lymphocytes B infectés par l’EBV. Initialement, le rôle de l’EBV dans la genèse des LPT n’était pas clair. En fait, ce sont les infections primaires et secondaires à EBV et l’excrétion naso-pharyngée plus élevée chez les patients greffés d’organe qui ont attiré l’attention sur le rôle potentiel de ce virus.
Un autre facteur oncogénique potentiel est la stimulation chronique du système immunitaire par les antigènes du greffon.
Présentation clinique
Quasiment tous les organes peuvent être atteints, et bien que près de 50 % des LPT soient purement ganglionnaires, les localisations extraganglionnaires sont fréquentes, qu’elles soient isolées ou associées à une atteinte ganglionnaire. Il est néanmoins remarquable de constater la diminution de la fréquence des atteintes du système nerveux central depuis l’utilisation de la ciclosporine alors que, dans le même temps, la fréquence des localisations gastro-intestinales a augmenté considérablement. Le greffon, lorsqu’il s’agit d’un organe solide, est atteint dans près de 20 % des cas.
Les présentations cliniques sont multiples. Le délai entre la transplantation et l’apparition du LPT est très variable, allant de quelques semaines à plusieurs années, et diminuant lorsque le degré d’immunosuppression augmente.
Deux groupes cliniques peuvent être distingués :
1)LPT précoces qui surviennent chez des patients jeunes (âge moyen 21 ans) développant une symptomatologie de mononucléose infectieuse rapidement après la transplantation ou après un épisode de rejet du greffon ou une réaction grave du greffon contre l’hôte (GVH) traitée par sérum antilymphocytaire. Il a une altération importante de l’état général, une fièvre et des adénopathies extensives. D’autres symptômes peuvent compléter le tableau notamment des épanchements pleuraux et/ou de l’ascite. En l’absence de traitement adapté et rapide, l’issue est fatale ;
2) LPT tardifs qui surviennent chez des patients plus âgés (en moyenne 47 ans) et qui développent la LPT longtemps après la transplantation (en moyenne 5 ans). Cliniquement, ces patients présentent fréquemment des localisations extraganglionnaires. La progression de la LPT est retardée.
Pronostic
Le pronostic global des syndromes lymphoprolifératifs post-transplantation est difficile à apprécier mais le taux de mortalité précoce pour les patients qui nécessitent un traitement spécifique est très élevé.
De nombreux facteurs semblent interférer avec le pronostic : le délai d’apparition par rapport à la date de la greffe, le traitement immunosuppresseur sous-jacent, le type d’organe greffé, la (ou les) localisation(s) de la LPT, l’état général et le taux des LDH, l’aspect anatomopathologique, l’expression ou non du génome du virus d’EBV, la clonalité et l’envahissement médullaire.
Traitement
Il est largement admis que la réduction de l’immunosuppression est le traitement initial des LPT. Toutefois, si dans quelques cas, la régression de la LPT survient après simple diminution du traitement immunosuppresseur, des thérapeutiques plus interventionnistes restent nécessaires pour la grande majorité des malades qui ne répondent pas à cette première stratégie. Par ailleurs et en dehors de quelques observations anecdotiques, il n’existe pas d’étude prospective concernant le traitement local par chirurgie ou radiothérapie.
Dans la mesure où l’EBV est impliqué dans la physiopathologie des LPT, des molécules antivirales agissant sur le cycle du virus ont été essayées. Par opposition aux maladies provoquées par l’EBV en phase lytique, les LPT sont insensibles à l’aciclovir ou le ganciclovir, car ces lymphocytes tumoraux n’expriment pas la thymidine kinase virale, cible de ces molécules. Des succès ont été rapportés dans quelques cas de LPT EBV+ après utilisation de Foscarnet. Il est difficile d’affirmer que les rémissions observées dans ces conditions ne sont pas en fait des succès différés de l’allégement préalable de l’immunosuppression.
Différents protocoles de chimiothérapie anticancéreuse ont été essayés dans les LPT, mais les données sont contradictoires. Bien qu’il n’existe, à nos jours, aucune étude comparative prospective, la chimiothérapie conventionnelle semble pouvoir être recommandée dans le traitement de certaines LPT, en particulier lorsque l’évolution n’est pas fulminante.
Depuis la fin des années 1990, le traitement de référence des LPT de phénotype B et a fortiori liées à l’EBV, est l’immunothérapie par les anticorps monoclonaux anti-CD20 (rituximab) qui semblent efficaces et mieux tolérés que la chimiothérapie conventionnelle.
Les LPT restent une complication des greffes d’organes ou de CSH de très mauvais pronostic nécessitant une surveillance étroite des patients transplantés à risque, notamment ceux dont le traitement immunosuppresseur vient d’être augmenté pour un rejet de greffon ou une GVH sévère.
UAM d’allogreffes de CSHService des Maladies du sang CHU de LilleClassification OMS des LPT | |
Type de prolifération | Sous-types |
Lésions précoces | Hyperplasie plasmocytaire réactionnelle Lésions simulant une MNI « MNI-like » |
LPT polymorphe (LPT-P) | |
LPT monomorphe (LPT-M) | Néoplasies B Lymphome diffus à grandes cellules B Lymphome de Burkitt ou « Burkitt-like » Lymphome lymphoplasmocytaire Lésion de type plasmocytome Néoplasies T |
Lymphome de Hodgkin et LPT « Hodgkin-like » |
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