LE PIRE des jugements sur la barbarie consiste à la mettre au compte de la démence. Oussama ben Laden n'est pas fou. Il a montré son pouvoir, celui de supprimer les libertés en retournant contre les démocraties prospères les moyens technologiques qui approfondissent ces libertés.
Il y est presque parvenu : en contraignant l'Amérique à se méfier constamment de tout et à accroître son système sécuritaire jusqu'au seuil de l'arbitraire ; en la lançant dans des batailles sanglantes dictées par une si grande colère qu'elle en a perdu quelques impératifs catégoriques ; en l'attirant dans un cycle infernal où il faut faire le mal pour combattre le mal.
En Europe, nous n'avons pas eu, pour les Américains, la sollicitude qu'ils méritaient. Beaucoup d'intellectuels français ont pris plus de plaisir à critiquer M. Bush qu'à dénoncer un ennemi qui est aussi le leur. Nous n'avons pas compris que la souffrance de nos amis américains est assez digne pour que nous n'en percevions pas les symptômes, mais assez profonde pour qu'ils envahissent successivement deux vastes territoires de l'Orient. Ben Laden, les talibans, Saddam Hussein, tous ennemis jurés de l'Amérique, en ont pris pour leur grade. On dit et on répète que la sécurité aujourd'hui n'est pas plus grande qu'avant le 11 septembre, on dénonce la guerre d'Irak, faite au mauvais endroit, on stigmatise les mensonges de M. Bush. Mais on tend à oublier que le terrorisme international a pris des coups sévères, qu'Al-Qaïda semble avoir beaucoup de mal à attaquer de nouveau le territoire américain, et que Ben Laden s'est terriblement trompé quand il a cru qu'il battrait les Américains parce qu'ils ont peur de mourir, « alors que nous vénérons la mort ». Ils savent mourir, les Américains : ils ont déjà perdu 1 000 soldats en Irak, et ce n'est pas fini.
Nous-mêmes, dans ces colonnes, n'avons pas manqué de critiquer les manipulations de M. Bush, son échec dans la recherche des armes de destruction massive en Irak, bien qu'il eût juré qu'elles existaient (et nous l'avions cru), l'effroyable affaire des prisons irakiennes. Nous trouvons l'homme un peu léger pour la tâche à accomplir. Mais nous ne doutons pas de sa fermeté et il n'est nullement interdit d'imaginer que, grâce à cette fermeté, il a peut-être empêché une chute lente de l'Occident.
En tout cas, soumis au regard acéré des médias, aux limites du mandat présidentiel et au jugement d'une société plurielle et rebelle, M. Bush ne durera qu'un temps et laissera la place à un autre. Pas l'armée secrète du terrorisme. Aussi ne peut-on les mettre sur un pied d'égalité. On peut s'indigner du sort réservé à quelques étrangers brimés par les services d'immigration américains ; on peut exiger, pour les détenus de Guantanamo, le respect de leurs droits ; on peut s'élever contre la guerre en Irak, et surtout ses résultats consternants. On ne peut pas dire que l'Amérique s'est transformée en Etat policier, que M. Bush est un fasciste ou, comme l'écrit dans « Libération » un chercheur du Cnrs, que « la cote d'alerte démocratique est franchie » parce que les autorités américaines ont refusé un visa à Tariq Ramadan, cet homme admirable qui a refusé de dire à Nicolas Sarkozy, dans une discussion télévisée, qu'il était contre la lapidation des femmes musulmanes (il propose un « moratoire », mais oui, sur ce sujet).
Quels que soient ses égarements, l'Amérique revient toujours au centre. Certes, il n'est pas question d'associer M. Ramadan au terrorisme : ce serait effectivement un amalgame honteux. Mais qu'on nous permette de compter davantage sur M. Bush que sur lui pour l'avenir de la femme.
N'oublions pas le 11 septembre. N'oublions pas que la guerre d'Afghanistan était nécessaire et justifiée. Et, surtout, gardons-nous de renverser nos propres valeurs en pardonnant à nos bourreaux (et parfois même en les exaltant) pour mieux condamner nos alliés.
Il faut parfois comprendre les Américains
Il y a trois ans, le 11 septembre
Publié le 09/09/2004
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Source : lequotidiendumedecin.fr: 7587
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