L'EQUIPE du Pr Roger Salamon, directeur de l'unité Inserm 330 (épidémiologie, santé publique et développement) à l'université de Bordeaux-II, a tranché. A la question de savoir si les quelque 25 000 soldats qui ont participé à l'opération Tempête du désert, lancée en Irak entre août 1990 et février 1991, ont pu contracter un syndrome spécifique, le rapport conclut par la négative. « Nous n'avons pas pu mettre en évidence un syndrome propre à ce conflit », disent en substance les auteurs, qui relèvent cependant l'existence d'un certain nombre de pathologies observées parmi les anciens combattants, des pathologies de même nature que celles qui ont pu être observées dans le passé, après d'autres opérations militaires.
Ainsi prend fin l'investigation la plus vaste de l'histoire de l'épidémiologie française. Lancée en février 2002 alors que les médias se faisaient l'écho de l'émotion grandissante exprimée parmi les anciens combattants, autour de troubles cliniques divers dont certains ont entraîné la mort, elle a nécessité l'envoi d'un autoquestionnaire de huit feuillets, avec des questions qui portaient tout à la fois sur les antécédents médicaux des intéressés, sur les événements personnels qu'ils ont constatés pendant les opérations menées sur le terrain, ainsi que sur les troubles apparus depuis leur retour.
Sur l'effectif total des 25 000 participants envoyés dans le Golfe, seulement 10 477 personnels ont pu être retrouvés ; parmi eux, seuls la moitié des destinataires ont retourné le questionnaire. Finalement, le pourcentage des réponses recueillies par rapport à la population investiguée n'atteint pas le seuil des 20 %, ce qui oblitère quelque peu la prétention à l'exhaustivité dont se pare l'étude.
Un millier d'examens médicaux complémentaires.
En outre, environ un millier de personnes ont accepté, comme leur proposaient les enquêteurs, de passer des examens médicaux complémentaires, soit dans l'un des 9 centres militaires, soit dans l'un des 37 centres civils mobilisés. Conclusion : aucune trace d'uranium appauvri n'a été retrouvée. Ces bilans biologiques n'ont pas mis davantage en évidence des pathologies qui pourraient être corrélées à l'un des facteurs favorisant qui ont fait l'objet, dans le passé, de mises en cause diverses (insecticides organochlorés ou organophosphorés, colliers antitiques ou antipuces recouverts de diéthyltoluamine, armes chimiques d'origine irakienne contre le gaz sarin, recours à la pyridostigmine pour assurer la protection contre lesdits gaz, exposition à des maladies infectieuses comme les leishmanioses, émissions dans l'atmosphère de toxines, en particulier à l'occasion des incendies des puits de pétroles).
De même, l'enquête n'a pu établir de liens entre les vaccins et les cocktails vaccinaux inoculés aux militaires et certaines pathologies.
Pour autant, le rapport Salamon se garde de débouter les plaignants. Il s'agit, souligne-t-on, d'une conclusion qui traite les éléments collectifs du dossier, au sens classique donné à un syndrome, soit la « réunion d'un groupe de symptômes ou de signes qui se reproduisent en même temps dans un certain nombre de maladies » (dictionnaire Garnier-Delamarre). Le rapport Salamon ne nie évidemment pas que les combattants de l'opération Tempête du désert aient pu être victimes d'accidents de circulation, d'accidents de guerre par armes à feu, d'accidents de sports, ainsi que de pathologies diverses (digestives, ORL, et dermatologiques). Mais, à l'instar des études anglo-saxonnes consacrées au sujet, le rapport ne détecte pas chez les vétérans d'incidence de cancers ou de malformations congénitales supérieures à celles mesurées dans la population générale.
Quant aux autres troubles signalés, qui peuvent être regroupés en trois familles principales (troubles cognitifs, confusion-ataxie, arthromyoneuropathie), ceux-ci ont fait l'objet de descriptions sans que soit avancé un quelconque lien de causalité avec les opérations militaires menées dans le Golfe.
L'association Avigolfe, créée en 2002 par des anciens combattants français d'Irak, et qui avait milité pour la réalisation d'une enquête épidémiologique, sans attendre les conclusions du rapport Salamon, avait fait connaître par avance ses critiques : « Il n'existe pas de syndrome au sens scientifique du terme, mais des maladies, pathologies, signes et symptômes liés à des toxicités présentes sur le terrain » ; elle émet en particulier des doutes sur la représentativité des personnels qui ont répondu à l'autoquestionnaire, soulignant que 75 % d'entre eux étaient encore en activité dans l'armée et par conséquent réputés en bonne santé, selon les critères d'aptitude afférent au métier des armes. De surcroît, Avigolfe souligne que l'enquête n'aborde pas les décès et n'étudie pas leurs causes, ce qui aurait dû pourtant constituer, selon l'association, « l'un des points les plus importants de l'enquête ». Enfin, les examens biologiques effectués sur la base d'un forfait de 180 euros par personne n'auraient « pas permis de procéder à une recherche systématique moderne sur toutes les pathologies signalées ».
Le rapport Salamon aurait dû mettre un terme à un débat de santé publique qui risque donc de n'être pas définitivement clos. Au demeurant, au ministère de la Défense, on souligne que les procédures d'indemnisations continuent de suivre leur cours ; sur 200 demandes, 118 ont abouti par la voie réglementaire au versement d'une pension. La juge Marie-Odile Bertella-Geffroy instruit de son côté une douzaine de plaintes déposées par des anciens combattants pour « homicides et blessures volontaires ».
Une autre méga-étude, au Royaume-Uni
Plus d'un ancien combattant britannique sur cinq croit qu'il est atteint du syndrome du Golfe. Les divers symptômes que présentent les soldats qui ont été envoyés en Irak entre août 1990 et juin 1991 sont pourtant de même nature que ceux rapportés pour les vétérans envoyés sur d'autres théâtres d'opérations internationales. Avec une spécificité, toutefois, en termes de fréquence, plus élevée dans leur cas que chez les autres soldats. Telles sont les conclusions de l'étude que met en ligne ce matin le site BMC Public Health*.
L'étude publiée est d'une exceptionnelle envergure, puisque plus de 24 000 hommes ont répondu au questionnaire qui leur a été adressé, décrivant en détail leurs états de santé et les évolutions observées depuis 1990.
Les symptômes le plus fréquemment évoqués concernent les troubles musculo-squelettiques (15,1 %), l'asthénie (10,8 %), les déficits cognitifs (mémorisation, concentration, 7,9 %), ainsi que les allergies dermatologiques (7,6 %).
Les auteurs (Rebecca Simmons et coll., de la London School of Hygiene and Tropical Medicine) ont comparé ces données à celles recueillies auprès d'une cohorte de 18 439 autres anciens combattants, qui avaient servi ailleurs que dans le Golfe ; 37 % d'entre eux présentent des symptômes nouveaux apparus depuis 1990, contre 61 % dans le cas des vétérans du Golfe. Cet excès, conclut l'étude britannique, ne permet pas de conclure à l'existence d'un syndrome unique dans le cas des anciens combattants du Golfe.
>>>>>* www.biomedcentral.com.
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