Chronique électorale
Pas plus que Jacques Chirac, Lionel Jospin ne sera assuré de l'emporter au second tour s'il arrive en tête au premier.
C'est la principale leçon de l'extraordinaire émiettement des intentions de vote au premier tour. Dans les appareils des partis, il n'est venu à l'idée de personne que le président de la République et le Premier ministre n'étaient peut-être pas les bons candidats. C'est leur fonction qui les a désignés à la candidature. Cet automatisme de l'investiture a conduit à la candidature à droite d'hommes, tels qu'Alain Madelin et François Bayrou, que Jean-Pierre Chevènement à gauche (ou à droite ?), et au puissant vote de rejet de MM. Chirac et Jospin qui s'annonce.
Un vote légitime
Cela ne changera rien aux résultats du second tour. Il est plus que probable que l'un des deux principaux candidats l'emportera. Mais cela détruit tout pronostic, c'est-à-dire tout sondage d'opinion. Certes, il apparaît que le candidat du PS peut être élu même si M. Chirac le devance au premier tour ; ce qui signifie seulement que les reports de voix se feront mieux à gauche qu'à droite. Si, dans les trois jours qui viennent, le président ne parvient pas à accroître l'écart entre lui et M. Jospin, personne ne peut dire qui l'emportera.
Les Français se rassurent par la conviction que Chirac ou Jospin, c'est du pareil au même, ce en quoi ils se trompent lourdement : l'affrontement a lieu bel et bien entre la droite et la gauche, et si leurs programmes sont peu différents en matière de sécurité et de protection sociale, ils le sont en matière d'options budgétaires, comme nous ne cessons de le répéter ici.
Le vote de protestation n'en est pas moins légitime. Ce sont des hommes qui ont déjà une longue carrière derrière eux et n'ont pas vraiment brillé quand ils occupaient le pouvoir, qui sont rejetés, au profit de candidats moins célèbres, mais moins usés. Ce sont aussi des alternatives intelligentes qui nous sont proposées par MM. Madelin ou Bayrou. Ce sont enfin des candidats sincères qui envisagent un changement radical chez les trotskistes, d'un côté et chez Jean-Pierre Chevènement de l'autre.
De sorte que l'offre est assez abondante pour avoir démultiplié la demande.
Toutefois, le score de Jean-Marie Le Pen dans les intentions de vote (certains sondages lui accordent 13 % des voix) et celui des trotskistes, notamment d'Arlette Laguiller (entre 10 et 15 %, au total), indiquent une radicalisation sans précédent de l'électorat. En gros, on peut dire que les mouvements politiques qui ne sont pas représentés au Parlement totalisent, si on y inclut les électeurs de CPNT (Chasse, pêche, nature, tradition de Jean Saint-Josse), 30 % de l'électorat. Trente pour cent qui réclament un changement de fond en comble du rapport de forces politiques, trente pour cent qui récusent la façon dont la France a été gérée pendant le septennat écoulé, trente pour cent qui ne se rallieront qu'à contrecur à M. Chirac ou à M. Jospin.
Désaffection
Le Premier ministre qui, à plusieurs reprises, a dressé un bilan positif des cinq années qu'il a passées à Matignon, mesure ce qui le sépare aujourd'hui des classes dont il a prétendu défendre les intérêts. On verra dans la désaffection de son propre électorat l'échec des programmes sociaux qu'il a mis en place à un prix prohibitif, mais qui n'ont pas donné aux pauvres, aux exclus, aux SMICards cette part de bonheur qu'il a cru leur accorder. Qu'en même temps, les communistes et les Verts fassent campagne littéralement contre M. Jospin, bien qu'ils aient gouverné avec lui, accroît encore le sentiment que, décidément, le « bilan » n'est pas le meilleur atout du candidat socialiste.
Dans un certain affolement provoqué par la montée d'Arlette Laguiller, Robert Hue et Noël Mamère tentent de faire leur coopération passée avec le pouvoir en formulant des revendications extrêmes : leur programme est à peu près le contraire de celui qu'ils ont contribué à mettre en uvre. C'est pathétique. L'électorat est fondé à penser que, si c'est l'heure de la révolution, il est préférable de voter pour d'authentiques révolutionnaires et non pour leurs succédanés.
L'avenir immédiat
Cette poussée de fièvre sans précédent, qui semblerait presque présager un nouveau mai 1968, fait peser une menace sur l'immédiat avenir. Ce n'est quand même pas un hasard si la victoire de la droite en 1995 a entraîné, la même année, l'une des plus grandes grèves nationales de l'après-guerre et préparé les élections législatives anticipées de 1997. A l'inverse, une victoire de Lionel Jospin au second tour poserait le problème de sa majorité, dès lors que la gauche plurielle s'est dissoute dans les véhémences de la campagne pour le premier tour.
Ne soyons pas pessimistes pour autant : les lepénistes, les CPNT ou quelques-uns des chevènementistes qui se rallieront à Chirac appartiennent à un camp de grognards qui, pour autant, ne tient pas à démolir les institutions. Et si la gauche triomphe, on oubliera peut-être en juin les querelles d'avril, tant le pouvoir, avant d'être exercé, exerce de séduction sur ceux qui en désirent une part.
Il demeure que le principe même du scrutin majoritaire à deux tours verrouille de manière infaillible la vanne qui contient le flot des protestations. C'est bien sûr sa vocation, mais il atteint ses limites quand il n'offre pas d'exutoire à des frustrations exprimées, de façon tonitruante, par un si grand nombre d'électeurs.
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