Alors que les praticiens et chercheurs admettent communément aujourd'hui l'existence d'une part organique dans la maladie psychiatrique, se pose la question de l'interprétation idéologique des résultats de la génétique dans ce domaine. « Nous avons trouvé le gène de l'agressivité ! », annoncent les uns, « celui de l'homosexualité ! », lancent les autres.
Selon le Pr Axel Kahn (directeur de l'institut Cochin), la vérité est tout autre : « S'il est raisonnable de dire que l'inactivation ou la surexpression d'un gène peut avoir un impact sur le comportement, il est idéologique de dire qu'on a trouvé un gène du comportement », affirme le généticien, en ajoutant que « la notion même de gène du comportement n'est pas scientifique ».
Les progrès de la génétique permettent aujourd'hui aux chercheurs de « casser un gène » ou inversement, d'en augmenter le niveau d'expression, puis d'en observer les conséquences comportementales. On a pu ainsi étudier l'impact des modifications génétiques sur un certain nombre de comportements comme l'agressivité, l'anxiété, la capacité mnésique, le comportement maternel, etc. On sait par exemple que l'inactivation du Htr1a (serotonin receptor 5-Ht1a) chez la souris dans la période périnatale entraîne une anxiété pathogène qui ne se résorbe pas si on réactive le récepteur. De même, si on casse le récepteur Grin2a (glutamate receptor NMDA2A) chez des animaux, leurs capacités mnésiques sont affectées. Mieux, quand on surexprime ce récepteur, la capacité mnésique des souris augmente. Là apparaît le risque de « glisser insensiblement vers l'idéologie », explique Axel Kahn, qui raconte comment l'éditorial de la revue qui a publié l'étude évoque dans son titre les « smart mice » ( « souris futées »). Or il est reconnu que l'augmentation de la capacité mnésique n'est pas du tout forcément corrélée avec la richesse des capacités cognitives il existe même des théories expliquant certaines formes d'autisme par un « excès » de mémoire que l'on n'arriverait pas à effacer...
« On sait qu'il faut au moins 10 000 gènes pour assurer le développement du cerveau, la survie neuronale, la dendritogenèse, la plasticité synaptique, l'excitabilité, la neurotransmission et le métabolisme du cerveau », rappelle Axel Kahn. Dans de rares cas, un désordre est monogénique, mais, le plus souvent, les gènes induisent simplement une augmentation de la sensibilité à un type de facteur. Les études sur l'influence de la monoamine oxydase A (MAOA) sur les comportements violents montrent qu'un adolescent maltraité a un risque deux à trois fois plus élevé de devenir maltraitant s'il a une MAOA élevée. Mais dans un groupe de personnes à faible MAOA et maltraitées pendant l'enfance, 85 % deviennent violents. « Le gène MAOA n'est donc pas un gène de la violence, mais il sensibilise les enfants aux conséquences délétères d'une maltraitance », commente Axel Kahn.
Bonne mère
Le chercheur rappelle que l'effet des gènes sur le comportement est conditionné par des éléments épigénétiques comme la vie intra-utérine (conditionnée par l'hygiène de vie de la mère, notamment), ou l'environnement (au sens large). On a étudié deux lignées de rats où se trouvent, d'une part de
« bonne mères »dont les enfants deviendront vaillants, d'autre part, de
« mauvaises mères »qui engendrent de futurs anxieux. Quand on prend des enfants de mauvaise mère et qu'on les fait élever par une bonne mère, ces derniers deviennent
« no peureux »et les femelles, devenues adultes, sont à leur tour de bonnes mères.
Il faut enfin prendre en compte, quand on modifie un gène, les mécanismes de compensation générés par l'animal, qui peuvent biaiser les interprétations.
Si certaines maladies psychiatriques sont clairement dues à des mutations génétiques (syndromes de retard mental par exemple), beaucoup d'autres ne peuvent s'expliquer que dans un modèle polyfactoriel associant la combinaison de plusieurs gènes impliqués, non pathogènes séparément (comme dans certaines formes d'autisme ou dans le TDAH - trouble déficitaire de l'attention/hyperactivité). D'autres troubles enfin n'apparaissent que lorsqu'une susceptibilité génétiquement définie rencontre un certain nombre d'éléments environnementaux, à un moment donné de l'histoire de l'individu. Dans ces conditions, conclut le chercheur,
« la génétique cesse d'être une arme brandie dans un combat idéologique et devient un vrai outil scientifique de connaissance ».
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