Le vrai du faux - Idées reçues de l'été

« Il ne faut pas se baigner en sortant de table »

Publié le 19/08/2014
baignade

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Crédit photo : S. Carambia

Sous la surveillance bien intentionnée des mères et des grand-mères, des générations d’enfants ont été tenues à la règle dite des trois heures : interdiction absolue d’aller nager en sortant de table, il faut compter trois heures, c’est-à-dire le temps de la digestion, pour se baigner sans risquer l’hydrocution.

Une idée reçue qui se recommande d’un certain bon sens : pendant la digestion, la température corporelle augmente, et avec elle le différentiel de température entre l’eau et le corps, qui expose au phénomène d’hydrocution, les vaisseaux se contractant brutalement dans l’eau froide, entraînant une hypertension et le ralentissement du rythme cardiaque.

De surcroît, pendant la digestion, estomac et intestins ont besoin de plus d’oxygène et d’énergie pour fonctionner, avec un afflux de sang qui diminuerait d’autant la capacité de régulation thermique de l’organisme. Finalement, on risquerait de se noyer en sortant de table parce que les efforts nécessaires aux mouvements de la nage et ceux liés au maintien de la température seraient excessifs, le volume de sang oxygéné étant insuffisant pour subvenir en même temps aux deux dépenses d’énergie.

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Aucune donnée concrète, ni aucun argument scientifique n’a été recueilli à l’appui de ce raisonnement. La dernière enquête épidémiologique réalisée en France, l’enquête noyades 2012 de l’InVS (institut de veille sanitaire) détaille et analyse de manière exhaustive les circonstances des 1 235 cas de noyades, dont 496 ayant entraîné la mort cet été-là : chutes, courants, épilepsie, épuisement, malaise cardiaque, malaise vagal. Elle relève cinq cas d’hydrocution et seulement deux « problèmes de digestion », sans en préciser la nature.

Selon la SISL (société internationale de sauvetage du lac Léman), moins de 1% de tous les décès par noyades enregistrés dans les statistiques américaines sont survenu après que les victimes aient pris un repas.

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Dr Jean-Pierre Cervetti, médecin coordonnateur de la Fédération française de natation

« Pendant toute mon enfance, mon père, militaire de profession, m’a imposé cette règle des trois heures, montre en main, se souvient le médecin. Et on sait aujourd’hui que cette précaution est absurde. Tout simplement, parce que le tube digestif est shunté à l’effort : pendant qu’on nage, on ne digère pas. Quant à l’hydrocution, elle est liée à l’exposition au soleil et non à la digestion.

À l’entraînement, les nageurs de la FFN prennent une collation avant de se mettre à l’eau ; et en compétition, on ne surcharge évidemment pas leur estomac, sans pour autant s’astreindre à la règle des trois heures : après échauffement, ils prennent par exemple une barre protéinée, de manière à ne pas être exposés à l’hypoglycémie.
Cela dit, si cette règle des trois heures ne tient plus, il faut raison garder et ne pas faire n’importe quoi ; après un repas très copieux et largement arrosé, il reste déconseillé d’aller tout de suite nager. C’est une question de bon sens. »

Mais le débat est-il clos ? Dans ses préconisations publiées sur son site internet, le CHU de Rouen invite encore, « pour éviter le choc thermique », à « ne pas se baigner pendant la digestion ».

Christian Delahaye

Source : lequotidiendumedecin.fr