« LA FRANCE n'a pas à rougir de la manière dont elle traite ses enfants » : en introduction à son rapport annuel, remis samedi - Journée mondiale des enfants - au chef de l'Etat, la Défenseure des enfants commente le bilan réalisé cette année sur le respect par notre pays de la convention des Nations unies sur les droits de l'enfant, ratifiée en 1990. Mais Claire Brisset relève aussi les « ombres au tableau », notés par le Comité des droits de l'enfant de l'ONU, parmi lesquelles les disparités de la protection de l'enfance selon les départements, thème central de son rapport.
« Le secteur de l'enfance confié aux départements doit faire l'objet d'un réexamen », estime la Défenseure des enfants. Avec 5 milliards d'euros par an - l'équivalent de quatre points de TVA pour 270 000 enfants -, c'est le deuxième poste de dépenses des départements. Les sommes ainsi dépensées le sont-elles toujours à bon escient ? Ne pourrait-on pas dépenser mieux en rationalisant certains fonctionnements ?
Claire Brisset se garde de remettre en cause la décentralisation, qui a permis « l'éclosion d'expériences innovantes ». Mais elle estime que, dans certains départements, la politique de l'enfance ne reçoit pas la priorité qu'elle mérite et, au moins aussi grave, qu'il « n'y a plus de politique unifiée de l'enfance au niveau national ». « L'Etat, dit-elle, n'a plus les moyens d'exprimer et de faire appliquer les options qu'il définit dans ce domaine. »
Un outil d'audit et de coordination des politiques départementales et d'alerte sur les éventuels dysfonctionnements est indispensable. La défenseure des enfants est prête à assumer cette mission, à condition que l'institution acquière le statut d'autorité indépendante.
Le dispositif de protection de l'enfance doit être rénové, a récemment reconnu la ministre de la Famille et de l'Enfance, Marie-Josée Roig, qui a mis en place des groupes de travail. Pour la défenseure des enfants, il faut modifier profondément les règles qui régissent le travail social. Une priorité : les travailleurs sociaux doivent être mieux formés, leurs titres professionnels « doivent absolument être protégés et revalorisés à la hauteur des exigences de formation qui leur sont demandées ». Claire Brisset suggère la création d'un seul diplôme d'Etat générique, avec des options spécialisées (protection judiciaire de la jeunesse incluse), pour constituer une culture et des repères communs ; diplôme qui serait obtenu après trois ans de formation théorique et pratique, la première étant commune à tous ceux qui se destinent au travail social.
Autre souhait : améliorer le dialogue avec les parents afin que la mesure de placement ou d'assistance éducative envisagée pour l'enfant puisse faire l'objet d'une forme de contrat. Les parents et l'enfant devraient pouvoir disposer d'un interlocuteur unique.
Une politique de l'adolescence.
Les préconisations du défenseur des enfants sont-elles suivies, ou au moins entendues ? Le rapport 2004 fait le bilan de ce qu'il est advenu des propositions formulées depuis sa création, en 2000. La contestation de l'école pour les 2-3 ans (« le Quotidien » du 21 novembre 2003) a relancé le débat et suscité une prise de conscience : si des études récentes montrent que le gain en terme de réussite scolaire est infime, « l'impact négatif sur le développement est confirmé par de nombreux enseignants, pédiatres, pédopsychiatres et parents qui, jusqu'à une période toute récente, ne pouvaient se faire entendre ». L'Association française de psychiatrie doit organiser une manifestation scientifique sur ce sujet de la scolarisation précoce.
Dès son premier rapport, en 2001, la défenseure avait demandé que soit élaborée une politique de l'adolescence. Elle note les décisions annoncées cette année lors de la conférence de la famille, consacrée à ce thème (« le Quotidien » du 28 juin), notamment la multiplication des Maisons de l'adolescent, à laquelle seront consacrées 5 millions d'euros pendant cinq ans en complément du financement apporté par les collectivités territoriales. Le retard à rattraper dans le domaine du repérage et de la prise en charge de la souffrance psychique est tel qu'il ne sera pas comblé rapidement mais une « dynamique est lancée ».
En 2003, la défenseure avait aussi demandé un plan d'urgence pour l'accueil des enfants handicapés privés de prise en charge adaptée. Elle estime que « la très grave insuffisance » de l'accueil des enfants handicapés dans des établissements adaptés ou dans des écoles classiques « demeure un problème crucial ». Elle attend avec impatience la nouvelle loi sur cette question.
Un autre sujet qui lui tient à cœur, point noir qui a été également souligné par le comité de l'Onu, est l'insuffisance des moyens de la pédopsychiatrie. Elle « maintient que, pour remédier à la pénurie criante de prises en charge en pédopsychiatrie, des psychologues cliniciens disposant d'un titre homologué devraient pouvoir effectuer (des) prises en charge, remboursées par la Sécurité sociale, sur prescription d'un médecin ».
* L'institution s'appelle le Défenseur des enfants, Claire Brisset, sa responsable (nommée en 2000 pour six ans), est la défenseure des enfants.
Lire aussi, page 17, la rubrique « La Santé en librairie », sur le livre de Martine Nisse et Pierre Sabourin, « Quand la famille marche sur la tête ».
D'autres propositions
- Donner un statut juridique au secret partagé, création de la pratique.
- Modifier qualitativement les procédures liées à l'adoption, à l'occasion de la mise en place de la nouvelle Agence nationale de l'adoption. Il faut notamment harmoniser les conditions d'agrément des familles adoptantes et mettre en place dans chaque région un lieu d'appui et de consultations pour faire face aux difficultés médicales qui peuvent surgir dans la vie quotidienne de l'enfant adopté à l'étranger, à son arrivée comme au moment de l'adolescence.
- Mettre en place une politique d'ensemble pour favoriser les relations entre les détenus et leur famille. Instaurer une évaluation pluridisciplinaire des demandes de rencontres entre l'enfant et le parent détenu.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature