Le Conseil économique et social n'avait pas attendu l'épisode dit de la deuxième crise de la vache folle, en octobre 2000, pour se pencher sur l'ensemble des menaces, réelles ou supposées, qui pèsent sur le panier de la ménagère.
Des menaces, observe le rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du CES, Gilbert Capp, qui paraissent paradoxales, dans une période où une bonne partie de l'humanité souffre d'insuffisance alimentaire et alors même que tous les indices montrent une baisse tendancielle régulière de la mortalité et de la morbidité imputables à l'alimentation.
Le traumatisme du sang contaminé
Une série de crises alimentaires, marquées par le traumatisme du sang contaminé, a cependant gravement ébranlé la confiance des consommateurs. Pour comprendre l'ampleur du phénomène, le CES propose une approche d'ordre sociologique. Il analyse, à la suite de Claude Fischler, les mécanismes intimes et inconscients complexes qui font que le consommateur ne sait plus très bien ce qu'il mange. « Se nourrir étant l'acte majeur par lequel il se reconstitue, pas seulement au sens propre, mais aussi son être profond, il finit par ne plus savoir qui il est... »
Le rapport rappelle que la France bénéficie d'une séparation nouvelle des champs de compétence entre l'évaluation du risque, qui revient depuis 1999 à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), et la gestion desdits risques, qui relève, elle, de la responsabilité unique des autorités publiques.
Cette séparation constitue une innovation majeure intervenue dans le dispositif français. Accompagnée de l'obligation de transparence des avis, elle devrait permettre, après une courte période de rodage, l'amélioration notable de la sécurité sanitaire.
Moyennant quoi, le CES est formel, à la question de savoir si la France a progressé dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments, il répond « par l'affirmative, sans hésiter, même si la période récente a pu laisser penser le contraire ».
Une appréciation que ne partagent généralement pas les consommateurs. C'est pourquoi, alors que la politique alimentaire s'élabore en s'appuyant sur les compétences des scientifiques et l'expérience des professionnels, dans le cadre du mandat démocratique que détiennent les responsables politiques, le Conseil économique et social place au centre de ses propositions la nécessaire définition « d'un lieu de consultation de la société civile organisée sur la question de sécurité sanitaire des aliments », avec la constitution d'un « deuxième cercle » d'expertise sociale et économique, complémentaire des avis de l'AFSSA.
C'est en fait la société tout entière, eu égard aux traumatismes laissés dans les esprits par les dernières crises, qui doit « se réapproprier la question ».
En conclusion, le CES énumère tous les protagonistes de la chaîne alimentaire qui doivent être impliqués complémentairement à cet effet : l'appareil de formation, de la maternelle à l'université, qui doit faire une place plus substantielle à l'approche de l'aliment ; les professionnels de santé, qui doivent en particulier collaborer à l'effort éducatif à destination des personnes les plus sensibles aux risques ; la communauté scientifique, qui a tendance à se mobiliser en ordre trop dispersé ; les divers opérateurs (agriculteurs, artisans, industriels, transporteurs, commerçants), qui doivent poursuivre leurs efforts ; les grands supports d'information, dont l'influence est évidemment décisive lorsque surviennent les crises ; les pouvoirs publics, dont l'efficacité a pu paraître insuffisante lors des dernières crises ; et, naturellement, les consommateurs, « pris à la fois comme citoyens capables de participer à la définition d'un projet garantissant la santé et préservant notre culture de l'aliment ».
Une préoccupation ancienne
Sans remonter à la nuit des temps, l'histoire alimentaire des vingt siècles de notre ère est émaillée de multiples accidents de grande ampleur, rappelle le rapport du Conseil économique et social. Du mal des ardents, empoisonnement à l'ergot de seigle, qui a profondément marqué le Moyen Age, au scorbut, du choléra au botulisme, toutes les époques ont connu les affres qui accompagnaient une hygiène de vie insuffisante, des régimes alimentaires carencés et une méconnaissance profonde des mécanismes de transmission ou de déclenchement de ces calamités.
La césure d'avec ces périodes lointaines date de la révolution pastorienne qui a permis d'élucider les mécanismes de transmission des maladies par les micro-organismes et de fixer en conséquence les règles d'hygiène sur lesquelles s'appuieront les premiers dispositifs modernes de contrôle de la qualité sanitaire des aliments. La loi du 1er août 1905, en créant une administration de la répression des fraudes, marque, pour l'alimentation dans notre pays, le début des temps modernes.
La France, comme ses voisins, sort exsangue de la Seconde Guerre mondiale. Il faut nourrir une population affamée. Les pays retroussent les manches et, au début des années soixante, les bases de la production alimentaire de masse sont posées. L'agro-alimentaire naît, dissociant les multiples fonctions de l'acte de production de la nourriture. On en vient à craindre l'instauration d'un modèle alimentaire unique. C'est dans ce contexte qu'éclate à la fin du deuxième millénaire une série de crises alimentaires qui vont profondément ébranler la confiance des consommateurs.
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