Entretien avec Mark Britnell*

« Il faut cesser de s’appuyer sur les seuls hôpitaux pour éviter la banqueroute »

Publié le 15/10/2012
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Après une carrière internationale d’une vingtaine d’années dans l’univers de la santé publique, dont une partie importante au sein du NHS, Mark Britnell a rejoint, en 2009, la société de conseil KPMG. Fort de son expérience et de sa connaissance des systèmes de santé, il entend développer une vision stratégique pour la société de conseils. Détails.

Décision Santé. Pensez-vous que la santé puisse être définie de la même manière dans tous les pays ?

Mark Britnell. J’ai visité quelque 36 pays au cours des derniers mois… Et s’il est évident que l’objectif des politiques sanitaires est toujours le même – éviter la détérioration de l’état de santé des habitants et favoriser leur récupération – le sens même de la notion de santé diffère selon le niveau de développement économique du pays. Ainsi, dans les pays développés, où les performances économiques sont ralenties, la population âgée, et le modèle de soins plutôt ancien, les maladies à long terme explosent littéralement et les exigences des habitants sont croissantes. À l’inverse, dans les pays en développement, où la population est jeune, les performances économiques fortes et les infrastructures de santé de mauvaise qualité, il n’existe pas de véritable tradition politique dans le monde sanitaire. D’où, sans doute une certaine appétence pour les nouvelles technologies…

D. S. Au-delà de cette dichotomie, est-il possible de déterminer des points communs entre tous ces pays ?

M. B. Tous ces pays peuvent se répartir en quatre grands groupes : les États-Unis, où les dépenses de santé représentent plus de 17 % du produit national brut (PNB) ; les pays industrialisés, comme le Japon et la France, où elles pèsent entre 8 % et 12 % du PNB ; les pays émergents qui cherchent un modèle et les pays pauvres, qui tentent de préserver quelques crédits publics pour la prévention et la médecine de premier recours.

D. S. Comment trouver un bon équilibre entre les politiques publiques et les politiques privées ?

M. B. Selon les choix politiques et sociaux en vigueur, la part de l’action publique et celle du secteur privé varient d’un pays à un autre. Il faut se méfier des idées préconçues : au Royaume-Uni, la part du secteur privé est infime. Quant à la France, la réponse est complexe, puisqu’elle dépend à la fois de paramètres idéologiques et juridiques. Bien qu’elle dispose toujours de l’un des meilleurs systèmes de santé au monde, avec une répartition harmonieuse entre le public, le privé et les ONG, l’Hexagone devrait se donner les moyens de mettre ces trois acteurs en compétition et accepter de bousculer les équilibres. En clair, il faut cesser de s’appuyer sur les seuls hôpitaux, au risque de ne pas pouvoir résister aux défis du XXIe siècle et de connaître la banqueroute. Il faut cependant garder à l’esprit qu’il n’existe pas de pourcentage magique permettant au système de fonctionner parfaitement.

D. S. Concrètement, que faudrait-il faire ?

M. B. Il n’existe pas de système idéal. Aux États-Unis, alors que 17,6 % du PIB sont consacrés à la santé, l’espérance de vie n’est que de 78 ans. À l’inverse, à Singapour avec 4,1 % du PIB dédiés à la santé, l’espérance de vie atteint 82 ans ; soit un peu plus que la France (81 ans) qui consacre pourtant 11 % de son PIB à la santé. De même, avec deux taux proches, l’Afrique du Sud (8,3 % du PIB) et le Brésil (8,1 % PIB) disposent de deux niveaux d’espérance de vie très différents, soit 55 ans et 79 ans.

D. S. N’était-ce pas l’objectif de la loi Hôpital, patients, santé, territoires ?

M. B. En cherchant à abolir à la fois la frontière entre l’hôpital et le monde libéral et à intégrer les soins de premier recours et de deuxième recours dans le système de santé, la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) a cherché à sortir de la « vision en silo » au profit d’une approche transversale. Cette volonté de regarder le système de santé depuis le point de vue du patient n’est d’ailleurs pas spécifique, puisqu’aux Etats-Unis, AU canada, en Australie et en Angleterre, l’objectif est de sortir de l’emprisonnement vertical du patient. Attention toutefois à ne pas sombrer dans une bureaucratie excessive en instaurant une super-institution.

* Président du département santé de KPMG.
Stéphane Le Masson

Source : Décision Santé: 287