LE TEMPS DE LA MEDECINE
Le Pr Joël Ménard (santé publique)
Pour Joël Ménard, professeur de santé publique, la justice « a dix ans de retard » par rapport à la médecine en matière d'expertise médicale. Il lui manque un « concept d'expertise ». Son « mécanisme actuel est obsolète », estime-t-il.
« En médecine, face au problème du risque, nous avons progressé dès le début des années 1990 en séparant l'expertise de la gestion du risque », explique l'ancien patron de la DGS (1997-1999). Il faut entendre que « l'expertise n'est pas une opinion d'expert, mais un travail formalisé, avec une analyse des faits, une revue exhaustive de la littérature médicale et une synthèse ». Entre les mains de plusieurs personnes, cette méthode de travail met en jeu plusieurs points de vue sur un même sujet, et elle ne s'accommode guère de jugement de valeur individuel par trop dangereux. « Le problème, bien sûr, tient à l'indépendance et à la neutralité de l'expertise », avertit le Pr Ménard. Mais, « avec 10 personnes bien sélectionnées », indépendance et neutralité sont garanties, rassure-t-il.
Appliqué à la justice, le travail d'expertise ainsi défini prendra plus de temps (de trois à six mois) qu'avec un expert isolé. En revanche, le résultat en fera gagner aux magistrats. Il aura fallu un procès en première instance, un appel et un pourvoi en Cassation pour que la haute juridiction fasse siennes les conclusions de conférences de consensus sur le vaccin anti-VHB dans les affaires civiles Jeanpert-Leroy (« le Quotidien » du 9 septembre 2003) : il n'existe pas de lien entre la vaccination et l'apparition de la sclérose en plaques. En appel, la cour de Versailles avait appliqué le principe de la responsabilité civile à l'égard de GlaxoSmithKline. « A défaut de preuves scientifiques », les magistrats avaient jugé qu'un lien pouvait être établi sur la base « de présomptions graves, précises et concordantes ».
De même qu'il faut séparer l'expertise de la gestion du risque, il convient de dissocier le juge de l'expertise. Sans compter que la « vérité scientifique n'existe pas, elle est mouvante, relative ». « Il est normal que la vision d'un juge puisse être différente », estime Joël Ménard. Il établit un parallèle avec le décideur politique qui, à partir d'un rapport d'experts, définit librement une politique.
« Jusqu'à présent, la justice face à des situations d'incertitude se porte au secours des plus abandonnés », observe par ailleurs le praticien : une démarche qu'il associe au « principe de précaution » et « qui n'a rien de choquante », souligne-t-il.
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