C’EST LA CONFÉRENCE mondiale contre le racisme, organisée en août 2001 à Durban, qui sert de détonateur à C. Fourest, journaliste de « Charlie-Hebdo ». Ce qui devait en principe être un moment de communion antiraciste (mais aussi antisexiste et antihomophobe), tourne à l’agitation pro-islamiste et antisémite. Prenant prétexte de l’éclatement de la deuxième Intifada, les cris de «Palestine libre» se chargent peu à peu en «Mort aux juifs». Le stand des avocats de la Ligue arabe vend le faux grossier « les Protocoles des sages de Sion ». Première rencontre avec la gauche obscurantiste...
Le mois suivant tombent les tours jumelles. L’auteur (qui en rajoute un peu trop pour bien nous signifier qu’elle n’a aucune admiration pour Bush) observe que les altermondialistes condamnent beaucoup plus Bush que Ben Laden. L’événement scelle les noces d’une certaine gauche et de la frange la plus radicale de l’Islam. Caroline Fourest qui, dans sa revue « Pro-Choix », a passé beaucoup de temps à lutter contre l’intégrisme chrétien, se sent très à l’aise pour faire remarquer : «L’attaque du 11septembre n’est qu’un épisode dans la reconquête entreprise de longue date par l’islamisme. Il s’agit d’une déclaration de guerre non pas à l’administration Bush mais aux démocraties laïques du monde entier.»
Comment la gauche qui se croit de combat, celle des Verts, d’Attac, n’a-t-elle pas vu que le choix était entre l’intégrisme et la démocratie ? Sans doute parce que les Etats-Unis constituent pour elle le bourreau type, mais aussi parce que, grâce à l’habile Tariq Ramadan, les islamistes ont réussi à se constituer en victimes types. Sans doute aussi sous l’influence de leaders assimilant lutte contre le racisme antimaghrébin en France et opposition à l’islamisme totalitaire. Ceux que Caroline Fourest nomme les «idiots utiles».
L’analyse du mot islamophobie se révèle à cet égard intéressante, elle met en lumière toute la rouerie séductrice de Tariq Ramadan*. En lui-même, le mot est construit comme par exemple homophobie ou judéophobie, qui ont le mérite de la clarté selon P. A. Taguieff. Son usage est popularisé par le livre de Vincent Geisser « la Nouvelle Islamophobie ». Mais il constitue un piège, il induit une signification raciste, des sentiments hostiles à l’égard de la population d’origine maghrébine. Voire de façon également détestable, la haine d’une religion, l’islam. Or dans le discours de Tariq Ramadan, ce mot a le sens de haine de l’islamisme.
Dans la mouvance que ce livre épingle, il y a aussi ceux qui amalgament détestation de l’islam, « souffrances de la deuxième génération » et descendants de colonisés. C’est la joyeuse cohorte des « indigènes de la République ». Il n’y a pas que les idiots utiles, il y a aussi les cancres malveillants.
Le combat social.
Philosophe militant à la Ligue communiste révolutionnaire, Daniel Bensaïd n’a normalement pas besoin de faire des efforts pour détester l’émiettement identitaire actuel, même si, de façon un peu inquiétante, il avoue voir en Tariq Ramadan «un allié de circonstance». On voit bien que ses «fragments mécréants», abécédaire serré en pensée et mordant, détestent toutes les bibles et nos idoles empaillées. Par son tribut payé au « Traité d’athéologie » de Michel Onfray, on s’attend à un joyeux travail d’iconoclaste.
C’est ainsi que la laïcité, avec ce qu’elle comprend d’adhésion à l’universalisme, de négation des communautarismes, devrait entraîner son adhésion. Or, D. Bensaïd voit par exemple dans «la loi foulardière» une manière de stigmatiser (le verbe incontournable ces temps-ci) les jeunes musulmans. Qui s’est soucié, s’écrie-t-il, de la taille des kippas ou des croix ! Peut-être lui a-t-il échappé que les kippas ne sont pas en très grand nombre dans nos collèges et lycées d’Etat.
De fait, ce qui hérisse le plus notre auteur, c’est la mollesse d’une gauche qui ne met même plus en cause la loi du marché, le retour aux vieilles valeurs fondatrices, là où il faudrait mener un combat social, et la généralisation de ce qu’il nomme une «République fouettarde», aussi. «A braconner sur les terres de l’ordre moral cher aux droites extrêmes, de surenchères sécuritaires en sarkoziades nettoyantes, on arrive en chaise à porteurs à la diabolique surprise du 21 avril 2002. On le voit, point de langue de bois, en revanche, beaucoup d’idéologie au sens que Marx donnait à ce mot.
Réagissant aux propos d’A. Finkielkraut et P.-A. Taguieff sur la nouvelle judéophobie, D. Bensaïd nous semble un peu faible. Il nie qu’il y ait un antisémitisme d’extrême-gauche, celui précisément dont fait état le livre de Caroline Fourest. Pourtant, n’était-ce pas l’impayable José Bové qui avait vu des camps de concentration dans les territoires palestiniens ? Lui encore qui voyait la main du Mossad un peu partout, accréditant un prisme en vert, rouge et noir. A moins que José Bové ne soit pas vraiment de gauche...
Quant à l’assimilation entre antisionisme et antisémitisme, l’auteur a raison d’en contester le caractère systématique. De fait, de nombreux intellectuels juifs ont depuis longtemps pris fait et cause pour la réalité palestinienne. On sait qu’une bombe dans un bus de Londres c’est du terrorisme, alors qu’en Israël c’est «un jeune Palestinien», mais les exemples sont innombrables pour montrer le lien entre les deux notions. Le dernier en date s’appelle Ahmadinejad. Bref, un livre « mécréant » qui ne dévalorise certaines croyances que pour mieux en valoriser d’autres également inquiétantes.
Caroline Fourest, « la Tentation obscurantiste », Grasset, 153 pages, 9. Daniel Bensaïd, « Fragments mécréants », éd. Lignes, 187 pages, 14,90.
* Auquel elle a d’ailleurs consacré un livre : « Frère Tariq », Grasset, 2005.
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