Imagerie cancérologique

Identifier les biomarqueurs les plus pertinents

Publié le 29/11/2006
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DEPUIS très longtemps, la biologie du cancer est une banque d’informations dans laquelle l’imagerie puise par défaut, mais où elle ne trouve pas forcément des données adaptées au cahier des charges propre aux techniques d’imagerie. En radiologie interventionnelle, par exemple, pour faire de la chimiothérapie intra-artérielle, les agents sont sélectionnés parmi les agents de chimiothérapie existants qui répondent tous à un cahier des charges d’administration systémique et aucun à un cahier des charges spécifique de la pharmacocinétique d’une injection locale. Biologie et imagerie sont très liées, mais beaucoup d’efforts restent à faire pour créer une vraie force d’action commune dans laquelle la biologie participerait de façon active à des développements spécifiques aux problématiques de l’imagerie.

L’imagerie, qui est restée descriptive, morphologique et relativement subjective jusqu’à ces vingt dernières années, doit impérativement devenir quantitative. Il faut pouvoir quantifier toutes les informations ajoutées à l’image morphologique, de manière reproductible, pour se prêter à des comparaisons fiables dans le temps aussi bien qu’entre modalités d’imagerie et constructeurs différents.

Chez un même malade, il faut être en mesure de pouvoir suivre l’évolution dans le temps de biomarqueurs pertinents ayant par exemple trait à la qualité de la réponse au traitement. La mise au point d’agents de contraste ciblés, capables de détecter et de quantifier l’apparition ou l’évolution de ces biomarqueurs, en est une étape clé. A cet égard, les agents thérapeutiques ciblés devront être considérés eux-mêmes comme des biomarqueurs, susceptibles d’être liés à un agent de contraste (on devrait donc dire un « médicament de contraste ») qui posséderait ainsi la double qualité diagnostique et thérapeutique (concept de « théragnostic ») : imager la cible, y amener l’agent thérapeutique, en vérifier l’accumulation au bon endroit et en quantifier l’efficacité locale au cours du temps.

Des marqueurs d’imagerie fonctionnelle.

Les marqueurs pertinents en imagerie, qu’ils soient biologiques ou non, peuvent être qualifiés de marqueurs d’imagerie fonctionnelle en cancérologie qui permettent d’explorer :

– la physiopathologie de l’environnement tumoral comme les paramètres de la perfusion tumorale après injection d’agent de contraste vasculaire (pente de la prise de contraste, maximum de prise, pente de lavage, perméabilité vasculaire…), de la pression interstitielle, de la pression partielle d’O2 ;

– des métabolismes dans le cadre par exemple de la tomographie par émission de positons au FDG (18F-fluorodéoxyglucose) qui cible le métabolisme du glucose ;

– des populations cellulaires : par exemple, les agents de contraste IRM à base d’oxyde de fer qui ciblent les macrophages. Ces agents sont captés par les macrophages, ce qui permet notamment de distinguer les ganglions tumoraux de ceux qui ne le sont pas. Un ganglion qui n’est pas tumoral contient des cellules réticulo-endothéliales et il est très fortement tagué par le produit. Si le ganglion est tumoral, un grand nombre de macrophages sont remplacés par des cellules tumorales qui, elles, ne le sont pas. De la même manière, le foie normal contient des cellules de Küpffer, alors que les tumeurs n’en contiennent pas (la seule exception étant l’hyperplasie nodulaire focale) ; l’agent de contraste IRM va donc s’accumuler dans le foie normal mais pas dans la tumeur, renforçant la différence de contraste entre les deux structures et améliorant donc la détection tumorale ;

– des cellules souches : l’utilisation prévisible de cellules souches chez l’homme rendra primordial dans le futur le suivi de ces cellules dans l’espace et dans le temps ;

– des cibles moléculaires proprement dites peuvent être aussi des biomarqueurs pertinents. Par exemple, pouvoir détecter par imagerie in vivo le domaine extracellulaire du récepteur de l’oncoprotéine HER-2/neu et ainsi caractériser les tumeurs surexprimant cet oncogène permettrait de sélectionner aisément les 20 % de cancers du sein concernés qui répondent au Trastuzumab (thérapeutique précisément ciblée sur cette anomalie), et d’en suivre la réponse au traitement. La mise au point d’un agent de contraste IRM de ce type est, par exemple, en cours.

Les cibles moléculaires sont le rationnel de la médecine nucléaire dont le terrain d’action est par essence l’imagerie moléculaire. L’Octréoscan, marquage d’un analogue de la somatostatine permettant la détection de nombreux types de tumeurs endocrines, en est une application relativement récente. La médecine nucléaire doit également trouver dans le futur de nombreuses nouvelles applications thérapeutiques, d’autant plus que les nouveaux agents thérapeutiques ciblés sont fréquemment des anticorps. Enfin, l’imagerie spectroscopique IRM permet aussi d’avoir des informations moléculaires in vivo sur une tumeur. Le développement de l’imagerie spectroscopique in vivo soulève encore des challenges technologiques majeurs, mais nul doute qu’ils seront résolus dans le futur…

Théradiagnostic.

L’agent de contraste sélectionné doit être adapté au type d’imagerie utilisée : renvoyer les ultrasons si c’est un agent de contraste échographique, se comporter comme un aimant si c’est un agent de contraste IRM, absorber les rayons X si c’est un agent de contraste scanner, émettre un certain type de rayonnement si c’est un agent de contraste en médecine nucléaire. Il faut ensuite fixer sur cet agent de contraste un ligand capable de reconnaître la cible (= le biomarqueur pertinent).

Une troisième étape logique consiste à fixer sur ce binôme un agent thérapeutique (sans modifier la qualité de contraste ni la sélectivité pour la cible…), et d’être ainsi capable de l’amener au bon endroit (la tumeur) et de suivre son efficacité au cours du temps. Beaucoup d’équipes travaillent sur ce concept de théradiagnostic qui donne une dimension thérapeutique à l’imagerie, et pour illustrer ce concept, le Pr Roche préfère parler de médicaments de contraste plutôt que d’agents ou de produit de contraste.

Les modalités d’imagerie (hardware et software) doivent s’adapter à ces nouveaux agents de contraste ciblés, en particulier pour que le signal imagerie qu’ils émettent soit détectable, et, donc en général il nécessite d’être très amplifié par rapport à celui d’un agent de contraste ubiquitaire de type vasculaire.

Idéalement, il faudrait pouvoir en détecter la fixation sur quelques molécules seulement, ce qui bien sûr est impossible tant le rapport signal spécifique/bruit (l’agent de contraste non fixé qui noie l’organisme de signaux non spécifiques) est trop faible.

De nombreux groupes travaillent donc à la mise au point d’agents de contraste ciblés « intelligents » qui n’expriment leur qualité de contraste qu’à partir du moment où ils sont fixés sur leur cible spécifique, annulant ainsi le bruit de fond. C’est généralement par la mise en oeuvre d’une réaction enzymatique qui ne peut se déclencher que sur la cible que cette propriété est obtenue. On retrouve à nouveau ici la nécessité de développer des activités de biologie dédiées à l’imagerie et d’établir un lien fort entre le médicament au sens le plus large (agent de contraste, cible thérapeutique, chimie) et l’imagerie (modalités d’imagerie, hardware, software).

* D’après un entretien avec le Pr Alain Roche, institut Gustave-Roussy, Villejuif.

Dans le futur

Quand on parle d’imagerie moléculaire, de biomarquage en imagerie, de ciblage, on se situe plutôt à l’échelle cellulaire. Mais, in vivo, il faut être capable de détecter une telle anomalie cellulaire à l’intérieur d’un organe ou , mieux, du corps entier, autrement dit coupler une vision la plus panoramique possible de l’individu avec une définition la plus fine possible sur le plan du biomarquage. Pour y parvenir, il semble indispensable de combiner les informations obtenues par plusieurs modalités d’imagerie différentes. L’association TEP-scanner est un exemple qui va dans ce sens, et d’une façon générale le développement de l’imagerie multimodale est une part majeure de l’imagerie médicale du futur.

On voit ainsi se préciser les contours de ce que le Pr Roche nomme l’ « objet complexe d’imagerie fonctionnelle » du futur : une image morphologique en 3D de grande résolution spatiale et panoramique de l’individu, représentée en temps réel, qui contiendra au bon endroit, et au bon moment, autant d’informations fonctionnelles quantifiées que de besoin, produites par des modalités d’imagerie différentes et combinées.

Comment représenter, lire et partager cet objet ? On est loin ici du film radiologique. Et comme les nouvelles modalités d’imagerie qui produisent des milliers d’images numériques par examen nous l’ont appris, l’interactivité avec cet objet d’imagerie complexe devient essentielle pour y naviguer intelligemment et rapidement à la recherche des informations importantes, avec des outils plus proches de ceux des consoles de jeux modernes que de la souris et du clavier d’un ordinateur.

> Dr FRANÇOISE BLOCH-JANIN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8062