Hystérie : un trouble dont les manifestations s'adaptent à l'époque

Publié le 19/03/2002
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Comme l'a rappelé le Dr P. Nüss, l'équipe médicale se trouve souvent désarmée devant les manifestations somatiques des patients hystériques, ce qui ne devrait pas faire oublier qu'ils ont besoin de l'aide. En sachant que le patient hystérique possède une capacité d'induire un malaise chez les soignants qui éprouvent une difficulté à trancher. D'autant que des tentatives d'objectivation des symptômes (visibles et quantifiables par tous) empêchent, dans une certaine mesure, d'accéder à la compréhension de ces symptômes qui ont une fonction dans l'économie psychique du patient ; celui-ci semble se trouver dans une impasse qui s'exprime dans le corps parce qu'il ne peut pas être exprimé par les mots.

La « migration de la matrice » des Egyptiens

Selon les époques, l'hystérie a été perçue et traitée différemment. La médecine égyptienne lui assignait une origine organique, à savoir la migration de la matrice liée à une déprivation de relations sexuelles et à un dessèchement de l'utérus ; d'où les recommandations d'Hippocrate à propos de l'effet bénéfique du mariage et de la procréation.

La possession diabolique du Moyen Age

Au Moyen Age, on explique la symptomatologie de l'hystérique par la possession diabolique (période terrifiante des procès de sorcellerie). Le caractère surnaturel de l'hystérie prend fin à la Renaissance et les neurologues Briquet et Charcot postulent la localisation de l'hystérie dans le cerveau. Les aimants et l'hypnose sont alors désignés comme des modalités privilégiées pour accéder non pas à la lésion anatomique mais à la dysfonction. Janet et Freud déplacent leur analyse anatomoclinique à celui du terrain, en s'interrogeant sur la personnalité hystérique et sur les conditions favorables à l'éclosion des troubles hystériques.
La perception péjorative attachée à la notion d'hystérie et le regroupement statistique des symptômes ont contribué à la disparition du terme d'hystérie des classifications. La personnalité histrionique (comportement théâtral et excessif) est la seule survivance officielle de ce trouble décrit depuis plus de quarante siècles. Cela dit, l'association des conversions somatiques à la personnalité de type hystérique n'est pas toujours constante.

Des leviers comme les idéaux sociétaux

« On peut tenter de comprendre l'hystérie par rapport à la vision que l'on a de la science et du corps selon l'époque et la culture. La séduction de l'hystérique (attirer le regard, susciter l'intérêt, entraîner un engouement affectif) doit opérer de manière plausible dans l'instant ; pour y parvenir, l'hystérique va se servir de leviers collectivement admis, comme ceux que constituent les grands mouvements et les idéaux sociétaux de l'époque où elle s'exprime », observe le Dr Nüss. On assiste à une relative disparition de grandes crises, à des tableaux neurologiques spectaculaires et à l'apparition de nouveaux aspects de l'hystérie. « L'hystérie au XXIe siècle semble épouser une nouvelle forme en adéquation avec les idéaux de notre époque, notamment en ce qui concerne le rapport de nos contemporains au corps, à sa forme, à sa fonction, à la santé en général. La jeunesse de l'apparence et des fonctions, le contrôle des contraintes propres au corps, l'inaltérable adaptabilité constituent quelques-unes des exigences implicites du rapport au corps dans nos sociétés occidentales. Chez la femme, l'intellect, l'aventure professionnelle, le corps mince remodelé précisément et libre du choix sexuel, correspondent davantage aujourd'hui aux canons de la réussite et de la séduction. »

Grande fatigue et insomnie

« Mais, sous la houlette du sans-faute, se glissent la grande fatigue, peut-être substitut actuel de la conversion, et aussi l'insomnie, un autre symptôme caractéristique de cette "fatigue d'être soi". Chez l'homme on retrouve le même processus, dans son désir d'être toujours en forme et de réparer l'usure du corps. Lequel doit posséder les qualités d'un outil technologique pour pouvoir poursuivre, sans entracte, une histoire héroïque. Se joue alors un jeu complexe à l'intérieur duquel, en cas de difficultés, la fatigue et des pannes diverses sont alléguées », indique le Dr P. Nüss.

D'après la communication du Dr Philippe Nüss (Saint-Antoine à Paris), lors de la 6e Journée annuelle du CNIF (collège de neurologie d'Ile-de-France).

Ludmila COUTURIER

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7090