Poussée d'insuffisance cardiaque

Hyponatrémie et syndrome d'apnées du sommeil

Publié le 09/12/2007
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OEdèmes et orthopnée

M. G. Henri, âgé de 65 ans, a un long passé de phlébites surales compliquées par deux fois d'une embolie pulmonaire. Il a aujourd'hui un coeur pulmonaire chronique avec une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). On lui a découvert, il y a deux ans, un syndrome d'apnées du sommeil (SAS). Il a depuis une assistance respiratoire nocturne en pression positive. Il développe depuis quelques jours des oedèmes au niveau des membres inférieurs et une orthopnée. Son médecin traitant, suspectant une décompensation cardiaque, l'adresse au cardiologue qui confirmera la poussée d'insuffisance cardiaque droite, sans signes cliniques et échographiques de dysfonction du ventricule gauche (fraction d'éjection à 65 %). A l'examen, seuls les signes d'insuffisance du coeur droit dominent : hépatomégalie douloureuse, turgescence jugulaire, volumineux oedèmes déclives prenant le godet associés probablement à une légère ascite. Le cardiologue confirmera à l'échocardiographie l'aggravation de l'HTAP (102 mmHg). La pression artérielle systémique est normale à 132/85 mmHg. Le bilan biologique réalisé la veille de la consultation cardiologique donne les résultats suivants : natrémie : 133 mEq/l, chlorémie 102 mEq/l, kaliémie 4,8 mEq/l, protidémie 71 g/l, urée 5,4 mmol/l (0,3 g/l), créatininémie 71 µmol/l (8 mg/l) et clairance calculée par la formule de Cockcroft : 72 ml/mn (le patient pèse 63 kg alors que son poids sans oedèmes est de 55 kg). Le cardiologue prescrit du furosémide à la dose de 80 mg/j le matin et 40 mg à midi pour réduire les 8 kg d'oedèmes. Le contrôle biologique réalisé une semaine plus tard donne les résultats suivants : natrémie 119 mEq/l, kaliémie 4,2 mEq/l, urée 7 mmol/l (0,5 g/l), créatininémie 68 µmol/l, protidémie 68 g/l, sodium urinaire 167 mEq/24 h et potassium urinaire 97 mEq/24 h. Les oedèmes déclives ont partiellement régressé et le patient a perdu 4 kg. La pression artérielle reste normale à 131/82 mmHg. Le rythme cardiaque est régulier à 72 pulsations/min. Le patient ne présente aucun trouble neurologique central, en particulier il n'est ni confus ni désorienté. Il conserve toutes ses facultés intellectuelles.

Devant cette hyponatrémie sévère, sans troubles neurologiques centraux, le patient est hospitalisé. Une restriction hydrique (800 ml/j) associée à une légère recharge en sel et la poursuite du furosémide à la dose de 80 mg/j permettront le retour à une natrémie normale en huit jours.

Commentaire 1

Une hyponatrémie avec oedèmes témoigne d'une hyperhydratation globale.

La présence d'oedèmes déclives au niveau des membres inférieurs témoigne d'une hyperhydratation extracellulaire. L'hyponatrémie est l'indicateur biologique d'une hyperhydratation intracellulaire. Ce patient a donc une hyperhydratation globale. La cause de l'hyperhydratation extracellulaire est bien évidemment l'insuffisance cardiaque droite secondaire au coeur pulmonaire chronique postembolique. Le traitement par furosémide permet de réduire l'hyperhydratation extracellulaire en augmentant l'excrétion rénale du sodium. Une natriurèse de 167 mEq/24 h témoigne d'une élimination sodée quotidienne sous furosémide d'environ 10 g de NaCl et de la bonne réponse rénale au diurétique de l'anse.

L'hyperhydratation intracellulaire apparaît sous traitement par furosémide alors que l'hyperhydratation extracellulaire est en train de se corriger. Il n'y a pas d'hypovolémie efficace puisque, d'une part, la fonction ventriculaire gauche est normale (fraction d'éjection systolique à 65 %), d'autre part, la fonction rénale demeure normale sous déplétion hydrosodée. Il s'agit donc d'une hyponatrémie qui s'installe rapidement sous furosémide alors que la volémie n'est pas abaissée et que le secteur extracellulaire est toujours en inflation (oedèmes).

Commentaire 2

Une hyperhydratation intracellulaire avec volémie normale témoigne d'une sécrétion inappropriée d'hormone antidiurétique (SIADH).

Lorsqu'il existe une hypovolémie efficace créée, par exemple, par une insuffisance cardiaque gauche ou une décompensation oedémato-ascitique d'une cirrhose hépatique, il existe une hypersécrétion d'ADH réactionnelle à l'hypovolémie, le rein luttant contre l'hypovolémie en retenant de l'eau. C'est le même phénomène qui survient lors d'une déshydratation extracellulaire avec hypovolémie réelle. Dans ces situations, l'hypersécrétion d'ADH est appropriée. Il s'ensuit alors une hyponatrémie de « dilution » qui sera secondairement corrigée par l'amélioration de la fonction systolique du ventricule gauche s'il s'agit d'une insuffisance cardiaque gauche ou par l'apport de sérum salé s'il s'agit d'une déshydratation extracellulaire. Dans l'un et l'autre cas, il y a des signes d'insuffisance rénale fonctionnelle témoignant des conséquences hémodynamiques de l'hypoperfusion du rein.

Dans le cas présent, la volémie est normale ou légèrement augmentée, comme l'atteste la fonction rénale normale et sa non-dégradation sous furosémide. L'hypersécrétion d'ADH n'est donc pas la conséquence d'une hypovolémie efficace par défaillance du coeur gauche (la fonction systolique est normale) ou d'une hypovolémie réelle qu'aurait induite le furosémide (persistance des oedèmes avec fonction rénale normale). Cette hypersécrétion d'ADH est donc inappropriée.

Commentaire 3

L'assistance respiratoire nocturne en pression positive dans le SAS stimule la sécrétion d'ADH.

La cause de l'hyponatrémie chez ce patient est le traitement du SAS par pression positive. Les causes pulmonaires d'hyponatrémie par hypersécrétion d'ADH sont connues (asthme, certaines pneumopathies, pression positive, etc.), de même que le coeur pulmonaire chronique avec HTAP élevée.

Avant la poussée d'insuffisance cardiaque droite, la natrémie était légèrement abaissée (133 mEq/l) et le rein du patient s'accommodait de cette hypersécrétion chronique d'ADH sans créer d'hyponatrémie significative.

Pourquoi le furosémide a-t-il aggravé brutalement cette hyponatrémie chronique ? La réponse est la suivante. L'efficacité du furosémide à 120 mg/j est démontrée par une natriurèse élevée. Le flux tubulaire augmente sous furosémide et permet ainsi à l'ADH d'exercer une réabsorption massive d'eau libre au niveau du tube collecteur. Cette réabsorption importante d'eau libre est à l'origine de l'aggravation rapide de l'hyponatrémie. Pour que le furosémide soit à l'origine de cette hyponatrémie, il faut qu'il existe, préalablement à son introduction, une hypersécrétion chronique d'ADH. C'était le cas chez ce patient qui avait, avant toute introduction de furosémide, une natrémie à 133 mEq/l. Normalement, en l'absence d'hypersécrétion inappropriée d'ADH préalable, le furosémide a plutôt l'avantage de créer une clairance à l'eau libre positive et donc d'éviter l'apparition d'une hyponatrémie, contrairement au diurétique thiazidique qui favorise son apparition.

En conclusion, le traitement par furosémide chez ce patient en insuffisance cardiaque droite a révélé une hypersécrétion inappropriée d'ADH induite par l'assistance respiratoire nocturne en pression positive du SAS. Pendant le traitement par furosémide, justifié pour traiter les oedèmes, il est nécessaire de mettre en place une restriction hydrique stricte pour éviter la survenue d'une hyponatrémie sévère.

> Dr PIERRE SIMON Néphrologue.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8274