Cardiopathie ischémique
M. Maurice C., 71 ans, a une cardiopathie ischémique suivie depuis plus de dix ans. Il a fait un infarctus du myocarde (IDM) en 1995 dans un contexte de facteurs de risque vasculaire majeurs : hypercholestérolémie familiale avec une fraction HDL à 0,38 g/l, tabagisme depuis plus de trente ans (20 cigarettes/j), hypertension artérielle non traitée. Il a bénéficié au décours de l'IDM d'une revascularisation chirurgicale par un triple pontage. Tous les facteurs de risque sont désormais traités et en partie contrôlés. Le tabagisme a été stoppé, l'hypercholestérolémie est à peu près contrôlée par une statine (fraction LDL à 1,15 g/l), l'hypertension artérielle est en revanche non contrôlée (de 150 à 160 mmHg de PA systolique au cabinet médical) malgré un traitement par antagoniste des récepteurs de l'angiotensine 2, diurétique thiazidique et bêta bloquant. Le patient reconnaît ne suivre aucun régime limité en sel. La fonction rénale est altérée avec une créatininémie à 152 µmol/l (17 mg/l), une urée à 13 mmol/l (0,90 g/l) et une clairance calculée par la formule de Cockcroft de 34 ml/mn.
OAP au bord de la mer
En vacances au bord de la mer, il présente en pleine nuit un oedème pulmonaire aigu quelques heures après un repas au restaurant particulièrement riche et arrosé. Il a consommé notamment des fruits de mer (12 huîtres). Il est hospitalisé en urgence compte tenu du degré de l'insuffisance respiratoire (PO2 : 52 mmHg). Le traitement diurétique sera intensifié (furosémide 120 mg/j). L'échocardiogramme réalisé dès l'entrée montre une fraction d'éjection systolique (FES) effondrée à 30 %.
Le bilan biologique réalisé aux urgences de l'hôpital, avant la mise en route du furosémide, donne les résultats suivants : natrémie 130 meq/l, kaliémie 5,8 meq/l, urée 23 mmol/l (1,5 g/l), créatininémie 210 µmol/l (20 mg/l), protidémie 65 g/l, natriurèse 25 meq/l, kaliurèse 50 meq/l. La radiographie pulmonaire confirme l'oedème pulmonaire avec cardiomégalie.
Natrémie à 123 meq/l
Après deux jours de traitement, la fonction respiratoire est améliorée. Un nouveau bilan biologique montre une natrémie à 123 meq/l, une kaliémie à 4,3 meq/l, une réserve alcaline à 34 mmol/l, une urée à 32 mmol/l (2 g/l), la créatininémie est à 200 µmol/l (16,5 mg/l), la protidémie est à 80 g/l, la natriurèse à 152 meq/l, la kaliurèse à 102 meq/l. La dose de furosémide est alors réduite à 80 mg/j et le patient est mis en restriction hydrique à 800 ml/j. Au bout d'une semaine, la natrémie est revenue à 132 meq/l.
Commentaire 1
L'insuffisance cardiaque gauche crée une hypovolémie efficace. La défaillance cardiaque gauche avec fraction d'éjection systolique effondrée crée une hypovolémie efficace avec hypoperfusion du rein. Il en découle une insuffisance rénale fonctionnelle qui se manifeste surtout par une élévation plus importante de l'urée sanguine que de la créatinine sérique. De plus, la natriurèse effondrée est la conséquence de cette hypovolémie efficace au niveau du rein. Cette hypovolémie efficace stimule la sécrétion d'hormone antidiurétique (ADH), ce qui favorise la réabsorption de l'eau au niveau du tube contourné rénal. Dans la mesure où la baisse de filtration glomérulaire secondaire à l'hypovolémie efficace réduit l'excrétion rénale de sodium, l'apparition de l'hyponatrémie est favorisée par l'hyperréabsorption de l'eau sous l'action de l'ADH. Tant que la fonction cardiaque gauche sera effondrée, l'hypovolémie efficace stimulera l'action de l'ADH au niveau du tube collecteur du rein. Les conditions hémodynamiques de constitution d'une hyponatrémie sont alors réunies si les apports alimentaires en eau demeurent supérieurs à l'élimination urinaire sous furosémide. Chez ce patient, dont l'hypertension artérielle n‘était pas contrôlée, la survenue d'une décompensation cardiaque gauche au décours d'une charge alimentaire en sel était attendue.
Commentaire 2
L'hypovolémie efficace est responsable de l'hyponatrémie. La stimulation de la sécrétion d'ADH par l'hypovolémie circulante est une réponse hémodynamique appropriée.
L'aggravation de l'hyponatrémie sous furosémide est la conséquence de l'aggravation de l'hypovolémie avec le traitement diurétique, comme le montrent l'élévation de la protidémie, l'aggravation de l'insuffisance rénale fonctionnelle et l'alcalose métabolique de contraction (augmentation de la réserve alcaline). Cette aggravation de l'insuffisance rénale est bien d'origine fonctionnelle puisque seul le taux d'urée sanguine s'élève alors que la valeur de la créatinine sérique demeure stable.
Commentaire 3
L'insuffisance rénale chronique est d'origine vasculaire. L'insuffisance rénale chronique (IRC) chez ce patient est d'origine vasculaire et il est possible que la circulation extracorporelle réalisée en 1995 ait laissé des séquelles rénales. Le niveau de l'IRC est un peu supérieur à ce qui est généralement attendu chez un patient de cet âge. La néphropathie vasculaire chronique (néphroangiosclérose) est vraisemblablement la conséquence des facteurs de risque vasculaire. Cette néphropathie vasculaire est-elle également d'origine ischémique par sténose athéromateuse des artères rénales (SAR) ? Rien au plan clinique ne permet de l'évoquer chez ce patient. L'oedème pulmonaire aigu secondaire à des SAR serrées sont des accidents qui ont la particularité de survenir sur une fonction myocardique peu altérée. L'aggravation de l'insuffisance rénale en cas de SAR bilatérale n'est pas uniquement fonctionnelle. Chez ce patient, le taux de créatinine sérique n'a pas progressé sous traitement diurétique. Le caractère « réfractaire » de l'hypertension au traitement peut être expliqué par l'absence de régime désodé, la charge en sel d'origine alimentaire pouvant réduire l'efficacité des antihypertenseurs.
Cependant, si le traitement cardiologique de la myocardiopathie ischémique nécessite l'introduction d'un inhibiteur de l'enzyme de conversion, il est de bonne pratique clinique de vérifier par un Doppler des artères rénales l'absence de signes hémodynamiques en faveur d'une sténose serrée des artères rénales. Les études épidémiologiques ont montré que 30 % des patients qui ont une maladie athéromateuse systémique avec insuffisance coronaire développent également des sténoses athéromateuses des artères rénales.
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