Petits et gros dormeurs
La plainte concernant le sommeil est extrêmement fréquente en médecine générale ; elle peut s’inscrire dans un processus pathologique identifié (dépression, troubles anxieux, douleurs aiguës, gêne fonctionnelle...) ou résumer le tableau clinique. Le sommeil est une fonction physiologique essentielle à la vie ; de son déroulement normal dépendent la santé et la qualité de vie. S’il constitue un tiers du temps de l’existence d’un être humain, sa normalité ne se définit pas quantitativement par un nombre d’heures, mais qualitativement par son caractère réparateur.
En effet, si sa durée moyenne est de sept ou huit heures par nuit, il y a des « petits dormeurs » physiologiques qui n’ont besoin que de quatre ou cinq heures et des « gros dormeurs » qui dorment neuf ou dix heures d’affilée. De surcroît, le sommeil évolue avec l’âge, de l’enfance à la vie d’adulte, puis chez le sujet âgé pour lequel les réveils nocturnes sont de plus en plus fréquents pour les mictions, par exemple.
Le sommeil pathologique se subdivise en deux catégories : les dyssomnies dont les insomnies et les hypersomnies, et les parasomnies comme le somnambulisme.
Clinique
L’examen clinique d’un patient consultant pour trouble du sommeil se fonde principalement sur l’interrogatoire et éventuellement de son entourage. Il doit préciser la nature du trouble, son ancienneté, sa durée, sa nature permanente ou épisodique, son retentissement physique souvent plus fiable que la plainte subjective, les circonstances de sa survenue, les phénomènes l’accompagnant (ronflements, pauses respiratoires rapportées par le conjoint, myoclonies...), la prise éventuelle de médicaments, la consommation d’excitants (alcool, thé, café, boisson à base de cola...), le contexte social et professionnel (travail posté alternant, navigant d’une compagnie aérienne...), l’environnement (bruyant ou inconfortable), les événements stressants de la vie...
L’examen doit, par ailleurs, être complet, à la recherche d’une pathologie perturbant le sommeil. Ce peut être une affection douloureuse ou entraînant une gêne fonctionnelle (asthme, adénome prostatique...) ou un trouble psychiatrique (alcoolisme, toxicomanie, dépression, état de stress posttraumatique...).
Enfin, il conviendra de faire un inventaire des répercussions diurnes du trouble du sommeil : fatigue, somnolence, irritabilité, céphalées, courbatures, lombalgies, difficultés de concentration, tristesse de l’humeur...
Certains instruments permettent de mieux préciser le trouble du sommeil (agendas où le patient consigne ses heures de coucher et de lever ainsi que la durée des phases de sommeil et d’éveil) ou questionnaires et échelle d’évaluation de la qualité du sommeil.
Examens
On peut également demander des examens complémentaires :
– un électroencéphalogramme de sommeil, associé éventuellement à un électromyogramme du menton et/ou à un électro-oculogramme pour réaliser un enregistrement polysomnographique ;
– des tests neuropsychologiques pour évaluer le retentissement cognitif du trouble du sommeil sur l’attention, la psychomotricité ;
– un ECG, une mesure des flux respiratoires et de la saturation oxyhémoglobinée nocturne, selon les orientations étiologiques.
Sommeil nocturne et somnolence diurne
Les hypersomnies sont plus rares que les insomnies, mais concernent toutefois 5 % de la population générale et sont plus souvent méconnues. Elles se caractérisent plus par une somnolence diurne que par un allongement de la durée du sommeil nocturne. Elles ont surtout pour conséquences des accidents dus à la baisse de vigilance des sujets qui en souffrent et exposent à des complications cardio-vasculaires (HTA, accidents ischémiques). Elles ont des causes multiples (médicamenteuses, respiratoires, neurologiques, dépressives...) et souvent intriquées.
On distingue principalement :
• le syndrome des apnées du sommeil: il est défini par la survenue répétitive au cours du sommeil d’obstructions complètes ou partielles des voies aériennes supérieures respiratoires responsables d’apnées (arrêt de l’échange d’air de plus de 10 secondes, au moins cinq fois par nuit) ou d’hypopnées. Il peut s’agir d’apnées d’origine obstructive, centrale (sans mouvements thoraco-abdominaux) ou mixte. La détection des hypopnées suppose une mesure quantitative et pas seulement qualitative de la respiration (mesure du flux aérien et de la saturation artérielle en oxygène). Les formes les plus graves réalisent le syndrome de Pickwick (apnées du sommeil, obésité, cyanose, polyglobulie, insuffisance cardiaque et respiratoire). C’est souvent l’entourage qui s’alarme du fait des ronflements et des bruyantes reprises respiratoires, après une pause, auxquelles succède un bref réveil dont le patient a rarement conscience. Dans la journée, le patient a des somnolences, voire de brutaux endormissements, il est fatigué et a des troubles de la concentration. Le diagnostic est confirmé par un enregistrement polysomnographique au cours d’une nuit complète. Un bilan étiologique permet d’identifier la cause (obésité et/ou obstacle ORL) et de la traiter (amaigrissement, intervention ORL). Il est parfois nécessaire de recourir à un appareil respiratoire à pression positive continue pour contrôler les apnées ;
• la narcolepsie (maladie de Gélineau): elle s’observe surtout chez l’homme et débute à l’adolescence. Elle se caractérise par une hypersomnie avec somnolence diurne, des accès de cataplexie, des hallucinations hypnagogiques et des paralysies du sommeil. Le diagnostic est confirmé par l’enregistrement polysomnographique et par le typage HLA. Le traitement repose, entre autres, sur les psychostimulants (modafinil ; méthylphénidate) ;
• le syndrome de Kleine-Levin: il affecte l’homme jeune. Il associe des épisodes de somnolence avec hyperphagie compulsive, une désinhibition sexuelle, des symptômes psychotiques et des troubles du comportement. Il peut être dû à une tumeur du 3e ventricule ou aux séquelles d’un TC ou d’encéphalites. Lorsque la périodicité devient importante et qu’un trouble de l’humeur est associé, on peut prescrire un thymorégulateur.
Autres causes
Parmi les autres causes d’hypersomnies, nous retiendrons:
– l’hypersomnie par insuffisance de sommeil : après un accouchement ou au cours d’une maladie ayant gêné durablement le sommeil, travail posté alternant ou navigant de compagnie aérienne travaillant sur de longs courriers, surmenage... ;
– l’hypersomnie iatrogène résultant principalement de la prise de psychotropes pour lesquels il conviendra d’apprécier le rapport bénéfice-risque ;
– le syndrome des jambes sans repos où les paresthésies gênent le sommeil parce qu’elles ne sont soulagées que par le mouvement, ce qui réveille le patient plusieurs fois dans la nuit ;
– les hypersomnies médicales comme l’encéphalite à trypanosome qui représentent plus un diagnostic différentiel et où domine la confusion mentale plus que l’excès de sommeil ;
– les hypersomnies psychogènes, notamment hystériques, que certains assimilent à l’hypersomnie idiopathique.
Les hypersomnies sont fréquentes et susceptibles d’avoir des conséquences graves pour la vie du sujet qui en souffre. Il convient donc de les diagnostiquer précocement pour prévenir, à court terme, les risques d’accident dus à la baisse de vigilance et, à long terme, la pathologie cardio-vasculaire, par exemple pour le syndrome des apnées du sommeil.
Cmme (clinique des maladies mentales et de l’encéphale), hôpital Sainte-Anne, Paris.
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