C'est le récit d'une expérience, la description et l'analyse des caractéristiques d'une intervention de nature humanitaire, celle conduite par Médecins sans Frontières (MSF) au Congo-Brazzaville en 1998-2000. « Ce fut une guerre extrêmement dure pour les civils », se souvient Marc Le Pape, chercheur au CNRS, membre du conseil d'administration de MSF et coauteur (avec Pierre Salignon, responsable de programmes à MSF), d'« Une guerre contre les civils. Réflexions sur les pratiques humanitaires au Congo Brazzaville (1998-2000) »*.
« Quand MSF a pu commencer à travailler, en mai 1999, l'organisation a constaté l'état très délabré dans lequel se trouvaient les Congolais, au moment de leur retour à Brazzaville, après une fuite de plusieurs mois, raconte Marc Le Pape. Tout compte fait, c'est une guerre dont il a peu été question, en dépit de la gravité de la situation. » C'est l'une des raisons pour lesquelles Marc Le Pape, Pierre Salignon et d'autres - le livre contient les témoignages de plusieurs intervenants - ont choisi d'évoquer cette guerre en particulier. Par ailleurs, les caractéristiques de ce conflit se prêtent, selon les auteurs, à l'analyse de l'aide humanitaire aux victimes civiles de conflits armés, cette analyse étant l'autre raison d'être de l'ouvrage. « Nous avons voulu restituer concrètement l'action de MSF dans ce type de guerre, une guerre de milice, comme il en existe de plus en plus fréquemment en Afrique », confirme Marc Le Pape.
En décembre 1998, après une année d'accalmie, les combats ont repris à Brazzaville et provoqué le déplacement de près d'un tiers de la population de la capitale congolaise, estimée à plus de 800 000 habitants. La majorité des personnes déplacées ont cherché à se mettre à l'abri dans les forêts. Elles se sont enfuies de village en village. Prises au piège des combats, elles ont été livrées à la violence des milices, « sans aide extérieure, privées de nourriture et de soins », lit-on dans l'ouvrage. Les premiers retours vers Brazzaville ont lieu en mai 1999. Les résultats d'une enquête de mortalité rétrospective, réalisée dans la ville de Mindouli (10 000 habitants), au sud-ouest de Brazzaville, montrent que 736 personnes (7 %) sont mortes de novembre 1999 à janvier 2000. Pendant cette période, le taux de mortalité est resté supérieur à cinq morts pour 10 000 personnes par jour. D'août à septembre 1999, la prévalence de la malnutrition aiguë sévère (un rapport poids/taille inférieur à 70 % de la normale), parmi les enfants de moins de cinq ans, a varié entre 30 et 40 %. De mai à septembre 1999, 1 190 femmes, adolescentes et petites filles, se sont présentées aux consultations pour femmes violées de l'hôpital de Makelekele à Brazzaville. « Beaucoup de ces viols avaient lieu sur le chemin de retour des déplacés vers Brazzaville. »
Les souffrances visibles
« Images du malheur et qualité des secours » : ce chapitre tient à la fois de la repentance et de la profession de foi. « L'attention des humanitaires (s'est) tout d'abord principalement dirigée vers les enfants affamés ». « Nous avons répondu à un aspect de l'urgence médicale, le plus frappant, la malnutrition des jeunes », précise Marc Le Pape. Personne n'en conteste l'utilité. « En revanche, poursuit-il , notre réaction médicale par rapport à un autre fléau, le viol de beaucoup de femmes, a été tardif. Nous étions submergés par les tâches. »« L'intervention en République du Congo-Brazzaville illustre comment les représentations victimaires dominantes peuvent faire écran à d'autres souffrances, moins visibles, affectant des individus moins "idéalement victimes" , mais pourtant tout aussi en danger de mort », écrit le président de MSF, le Dr Jean-Hervé Bradol, dans un propos introductif, poursuivant : « Cette fonction de triage, responsabilité du secouriste, doit être mise en lumière et faire l'objet d'un examen critique pour éviter que la représentation stéréotypée du malheur et des malheureux n'induise une injuste répartition des secours. »
Faire connaissance
Toujours faire mieux, c'est encore se défendre de « l'industrialisation » de l'aide. « Notre propos ne consiste pas à dire : "Revenons à la bande de copains de l'après-Biafra", mais à appeler à résister mentalement à la technicisation de l'aide humanitaire », développe Marc Le Pape. Que dit le livre ? Qu'il ne faut « pas refuser d'écouter l'histoire d'une détresse ». « Faire connaissance (avec les êtres humains) ne relève pas du superflu, mais de l'essentiel (...) Pour rendre possible ces rencontres, l'humanitaire doit sortir de l'univers des organismes d'aide, où la lecture stéréotypée des événements, la taylorisation du travail, les relations passionnelles aux collègues et la fascination pour les moyens de l'action consument trop d'énergie. » Suspendre son activité pour écouter, c'est « essentiel pour orienter le travail humanitaire dans le bon sens », affirme Marc Le Pape.
Un témoignage parmi d'autres : « Je m'appelle Albert. Ils ont voulu violer ma sur. Elle n'avait que 17 ans. J'ai tenté de la défendre, alors l'un des miliciens a tiré. Elle est tombée. Ils l'ont tuée et ils m'ont forcé à monter dans un camion pour retourner à Brazzaville. »
*« Une guerre contre les civils », éd. Karthala, 176 pages, 15,24 euros.
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