De notre envoyée spéciale
Fin de journée à Bogandé (Burkina-Faso) : les premiers avions se posent sur la piste de latérite. Le terrain est accidenté, l'atterrissage délicat... De chaque côté de la piste, des centaines de villageois venus de tout le district forment une haie bruyante et colorée. L'arrivée du raid est un rendez-vous très attendu dans ce coin de brousse et l'accueil est à la mesure de l'événement : tam-tams, danses de masques et discours de bienvenue de la part des autorités locales.
Voilà douze ans que les avions d'Air Solidarité se posent ici chaque automne au cours de leur périple africain. Maroc, Mauritanie, Mali, Sénégal, Cameroun, Ghana, Sénégal... L'escadrille, partie de Perpignan, survole une bonne partie de l'Afrique de l'Ouest : trois semaines de voyage, 12 000 kilomètres parcourus, pour ce raid aérien qui est aujourd'hui le plus long organisé en Afrique.
Une aventure à la fois humanitaire et sportive lancée en 1988 par Jean-Luc Condamine, médecin et pilote amateur. Chirurgien au CHU de Caen et président de l'ONG Actions de solidarité internationale (ASI), il cherchait des fonds pour financer des projets de développement au Burkina-Faso et a eu l'idée de monter un raid aérien alliant l'humanitaire et l'aventure sportive. Pour participer, chaque équipage doit financer un microprojet proposé par l'ONG : construction d'un dispensaire, creusement de puits, campagne de prévention ou encore équipement d'une école... Un moyen de conjuguer la passion de voler avec l'aide au développement.
« Voler utile »
La formule fait de plus en plus d'adeptes : cette année, ils étaient 16 équipages - venus de Suisse, d'Italie, du Luxembourg, de Belgique et de France - à s'envoler pour l'Afrique de l'Ouest. Parmi eux, une dizaine de médecins intéressés par la démarche.
« Avec Air Solidarité, j'ai l'impression de "voler utile", remarque Elisabeth Walczak, obstétricienne à Liège, qui soutient cette année l'équipement de deux salles de classe. On finance des microprojets qui sont suivis de manière précise et efficace. L'association n'arrive pas ici avec des projets tout ficelés, ce sont les habitants qui se prennent en charge eux-mêmes. »
Une approche qu'apprécie également Francis Pauchant, chirurgien viscéral dans la métropole lilloise. Sponsorisé par deux laboratoires de matériel chirurgical, il entame son 5e raid cette année : « Au moins je sais où va mon argent. Il n'y a pas d'intermédiaires et chaque année, nous nous rendons sur place pour visiter les réalisations. »
Francis Pauchant a eu l'occasion de participer à plusieurs missions de Médecins du monde, en Erythrée et au Cambodge, notamment. Il aimerait partir plusieurs mois en Afrique pour pratiquer la chirurgie dans un hôpital. Faute de temps, il participe chaque année au raid, « pour apporter un peu de ma compétence ».
Aires de santé au Burkina-Faso
Aujourd'hui, les 16 équipages font escale à Bogandé (Burkina-Faso), à une heure d'avion de Ouagadougou, la capitale, afin de rencontrer les équipes de volontaires sur le terrain. Trois heures de 4x4 sur une piste défoncée et les raideurs arrivent enfin à Kodjena, l'une des huit aires de santé financées par l'ONG : un petit bâtiment en dur avec salle de consultation, chambre commune et « bloc opératoire » alimenté en électricité par panneau solaire. A quelques pas de là, une autre bâtisse abrite maternité et dépôt pharmaceutique. Les installations sont rudimentaires et les moyens dérisoires pour soigner 17 000 habitants. Débordés par l'épidémie de méningite qui a ravagé la région cet hiver, les cinq infirmiers parent au plus pressé : assurer les vaccinations et traiter les crises de paludisme, première cause de mortalité dans le pays. « Soixante pour cent des consultations concernent le palu, le reste se répartit entre bronchite et dysenterie, explique Nikiema Sawadogo, infirmier-chef du dispensaire. La population n'a pas les moyens d'acheter des moustiquaires et les enfants sont très exposés. » Seuls médicaments disponibles : la Nivaquine et l'aspirine et quelques antibiotiques, approvisionnés par le dépôt répartiteur de Bogandé. « Nous ne pouvons acheter que des médicaments génériques commandés en gros et reconditionnés sur place. Les spécialités restent totalement inabordables. »
Malgré le manque de moyens, ces cinq professionnels de santé réalisent un travail de fourmi, affichant un taux de couverture vaccinale de 75 % pour le DT-Polio et de 60 % pour la rougeole. Quant à la maternité, qui assure une dizaine d'accouchements par mois, elle tient des registres très précis des naissances et des courbes de croissance de tous les bébés suivis dans le secteur et distribue gratuitement des compléments nutritionnels grâce au soutien du programme alimentaire mondial.
Pour faire tourner le dispensaire, ASI investit chaque année 70 000 F - en salaires et en frais de fonctionnement - qui sont gérés par un comité de villageois élus . Toutes les décisions sont prises de manière collégiale... ce qui garantit une gestion coopérative du projet.
Prévention du VIH au Ghana
Le principal écueil rencontré par les organisations humanitaires en Afrique est en effet le manque de rigueur dans le suivi quotidien : sans partenaires locaux fiables pour gérer les projets, pas de pérennité dans le développement. « L'approche du microprojet est à mon sens la meilleure mais elle reste aléatoire. Les ONG sont tributaires des personnes en place », constate Réto Froesch, pharmacien installé en Suisse et pilote expérimenté. Inscrit au raid pour la septième fois, il soutient cette année une campagne de prévention du VIH dans la région de Kumasi, au Ghana, la région la plus touchée du pays avec une prévalence voisine de 15 %. Depuis 1981, 43 000 cas ont été déclarés mais le nombre réel de cas dépasserait les 100 000 selon les autorités sanitaires. Chaque jour, 200 personnes sont contaminées au Ghana, parmi lesquelles une majorité de femmes, la tranche d'âge la plus touchée étant les 25-34 ans.
Le réconfort comme thérapie
« Face à ce fléau, la seule approche possible est la prévention, poursuit Réto Froesch. Aucun pays du tiers-monde ne peut se permettre de financer les traitements contre le SIDA. Les firmes pharmaceutiques se désintéressent totalement de ce marché car il n'est pas solvable. » Le coût des trithérapies est prohibitif pour les populations africaines et, bien souvent, le traitement se limite à un accompagnement des malades en fin de vie. Comme dans cet hôpital privé des environs de Kumasi, le Aninwah Médical Center, soutenu par ASI. Ici, pas de médicaments coûteux ni d'équipements sophistiqués, mais une profonde humanité de la part du personnel soignant.
Dans une petite chambre particulière - luxe inouï dans ce pays ! - une femme atteinte du SIDA se repose dans la pénombre. En phase terminale, elle vient d'être admise. Autour de son lit, une équipe d'infirmières chante en lui serrant la main. Ici, le réconfort tient lieu de thérapie.
Dans un contexte de tel dénuement, les 6 000 dollars apportés par l'équipage suisse pour développer la prévention peuvent paraître une goutte d'eau. Ils permettront cependant de soutenir quelques actions menées sur le terrain par l'ONG locale : formation de personnes-relais pour mieux informer la population, aide aux pharmaciens qui sont en contact direct avec les malades, diffusion de tracts en milieu scolaire sur les modes de contamination et l'utilisation du préservatif...
Une bataille qui s'annonce difficile, dans un pays où le SIDA n'est pas encore accepté comme une véritable maladie et où la pathologie rime souvent avec exclusion.
Contrairement au Burkina-Faso, où ASI a pu bâtir au fil des années un partenariat solide, au Ghana, la coopération est encore balbutiante. C'est la première fois que le raid se rend dans le pays pour soutenir un microprojet et tout est à construire.
Si certains nourrissent quelque inquiétude à l'égard de la classe politique - « souvent prompte à exploiter le système » -, Jean-Luc Condamine, lui, reste optimiste. « Avec douze ans de recul, je constate que les choses bougent. Lentement certes, mais elles évoluent. Il reste beaucoup à faire dans le domaine de la santé, mais on a repris le problème à la base : aujourd'hui, les aires de santé fonctionnent bien, l'approvisionnement en médicaments est assuré et l'équipement de base en place. Reste à s'assurer de la gestion communautaire des projets et de la bonne utilisation des financements. Nous sommes aussi bailleurs de fonds, et à ce titre nous sommes les garants éthiques des projets développés sur place. »
9 millions pour aider l'Afrique
En douze ans, le raid Air Solidarité a parcouru 23 pays d'Afrique, apportant au total plus de 9 millions de francs pour des actions dans les domaines de la santé, l'éducation, l'équipement ou la culture.
L'édition 2001 a permis de financer de nouveaux dispensaires et un centre de rééducation et d'appareillage pour handicapés ainsi que la construction de plusieurs salles de classe. Dans certains pays, elle soutient des initiatives mises en place par d'autres ONG humanitaires, comme Ophtalmo Sans Frontières.
Actions de solidarité internationale, 5, rue Lebon, 75017 Paris, tél. 01.45.74.77.66, e-mail asi-France@infonie.fr.
Air Solidarité, tél. 01.40.68.09.24, Internet www.airsolidarité.com.
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