ANTIQUITES
Près de deux générations séparent les deux barbus les plus célèbres du siècle. C'est en 1883 que le sculpteur propose à l'écrivain de faire son portrait. L'illustre octogénaire accepte, mais refuse de poser . Pas question non plus d'encombrer le salon avec un matériel salissant. Rodin s'installe donc dans la véranda et supplée à la pose par une multitude de croquis à la dérobée. Il suit son modèle comme son ombre .
Pour contraignante qu'elle fût, cette manière de procéder aboutit à un portrait plus subtil que la pose directe, toujours contrôlée. Le travail était presque achevé lorsque, brusquement, on fit savoir à l'artiste qu'il n'était plus le bienvenu. Il laisse donc en plan la tête de glaise que des âmes compatissantes se chargent d'arroser chaque jour pour éviter qu'elle se dessèche. Une série de photos exécutées à cette époque nous font entrer au cur du travail de Rodin, et des contraintes auxquelles est soumis tout portraitiste. Le sculpteur voulant un Hugo « vrai », lui avait fait une tête légèrement inclinée, le poète préférait un portrait frontal plus majestueux. Rodin redressa donc le buste en glissant sous le socle un gros bloc de glaise qui apparaît sur le buste définitif.
C'est en effet dans cet état inachevé que la sculpture fut jetée en bronze un an plus tard, et exposée au Salon. Elle y fut assez bien accueillie, mais son aspect inachevé, qui nous semble aujourd'hui si spontané, choqua un peu le public.
Rodin n'en avait pas fini avec Victor Hugo. Après la mort du poète, en 1885, la question se posa de son monument funéraire au Panthéon. Le projet de Rodin représentant « Hugo à Guernesey, écoutant les Muses », fut écarté comme « manquant de clarté » au profit d'une maquette plus conformiste. Il fut néanmoins prié de le modifier, pour être placé au Luxembourg. Après nombreux repentirs, hésitations et bras de fer avec l'administration, c'est finalement un Hugo de marbre nu dans une draperie à l'antique, qui est inauguré en 1909, non pas au Luxembourg, mais au Palais Royal... d'où il sera délogé vingt-cinq ans plus tard pour trouver refuge au Musée Rodin. Le groupe complet montrant le poète accompagné d'une muse inspiratrice finit pourtant par être coulé en bronze et inauguré en 1964, sur la place de Colombie, à Paris, non loin de la dernière adresse de Hugo.
L'exposition « Hugo vu par Rodin » se présente comme une véritable iconographie sculptée du poète, des deux bustes exécutés par David d'Angers en 1840, au masque mortuaire supervisé par Dalou. L'ensemble est cependant centré sur l'uvre de Rodin. On y voit quelques uns des fameux croquis préparatoires, plusieurs versions du buste de 1883, et aussi des uvres biens connues de Rodin, inspirées des textes de Hugo, qui permettent de resituer le portrait dans son contexte : le Penseur, l'Eternel Printemps, la Luxure... De nombreuses photos anciennes et plusieurs dessins et ébauches montrent la longue bataille, les désillusions, les remaniements qu'il livra à partir de 1889 pour le fameux projet de monument. Jusqu'à la fin de sa vie, l'image du poète ne cessa de hanter le sculpteur.
« Hugo vu par Rodin » : Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie, 1, place de la Révolution, 23000 Besançon. Jusqu'au 27 janvier 2003, chaque jour sauf mardi, 9 h 30-18 h. Entrée : 3 euros (horaires et tarifs variables) Catalogue : 30 euros
Châteaux imaginaires
Hugo toujours avec l'exposition inaugurée au début du mois à la Saline Royale d'Arc et Senans. Le poète, qui n'a jamais remis les pieds dans sa Franche-Comté natale, ne connaissait par les utopies architecturales de Claude-Nicolas Ledoux. Mais sans doute n'aurait-il pas été fâché d'y voir exposés les châteaux wagnériens nés de son imagination. On sait que le poète était aussi un dessinateur inspiré et carrément d'avant-garde. Le romantisme fantastique de ses encres étalées en taches à la manière d'un test de Rorschach, ces tours et ces gouffres qu'on imagine peuplés de fantômes et de sorcières, dont dotés d'une singulière puissance évocatrice.
« Les encres de Victor Hugo », jusqu'au samedi 30 novembre, Saline Royale, 25610 Arc-et-Senans.
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