Hospitalisation d'office : ce qu'a apporté la loi du 4 mars 2002

Publié le 11/05/2003
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REFERENCE

De prétendus enregistrements vidéo

Agé de 43 ans, M. N. profère depuis quelques semaines des propos que l'on a peine à croire. En effet, il prétend que son épouse enregistre sur des vidéocassettes tout ce qu'il dit et fait dans son appartement, dans le but de lui nuire. Et il est tellement convaincu de ses assertions qu'il a emmené quelques-unes de ces cassettes au commissariat de police pour s'en plaindre et produire la preuve de ce qu'il avance. Mais personne n'ayant pu voir quoi que ce soit sur les bandes visionnées, M. N. est convaincu que la police, elle aussi, fait partie d'un vaste complot qui le vise.

Des menaces

Il parle de s'en prendre à son épouse, qui est, selon lui, l'investigatrice de tout ce qui lui arrive. Parlant haut et fort, le sujet s'agite et inquiète son entourage. De plus, il insulterait et menacerait également ses voisins qui, à leur tour, s'alarmeraient.

A cessé tout traitement

L'intéressé a déjà été hospitalisé d'office en psychiatrie il y a trois ans (dans le service du secteur dont il dépend) pour des troubles analogues. Mais depuis six mois, il a cessé le suivi médical ainsi que la prise de médicaments (dont un neuroleptique). Il refuse actuellement tout traitement et toute hospitalisation au motif qu'il n'est pas malade. Mais il ajoute qu'il va faire payer tout cela à son épouse.

Loi du 30 juin 1838 sur les « aliénés »

N'a-t-on pas coutume de dire, en guise de paradoxe, qu'en matière d'hospitalisation psychiatrique « tout internement est abusif (ou arbitraire), mais que... toute sortie est prématurée » ? Et pourtant, il existe des garanties de forme (les différentes procédures obligatoires) et de fond (la possibilité de saisir le tribunal compétent d'un recours effectif) prévues par une loi. Ces situations permettant de soigner certains malades mentaux sans leur consentement représentent 13,6 % des hospitalisations en psychiatrie. Le premier grand texte a été pendant cent cinquante ans la loi du 30 juin 1838 sur les « aliénés ». Cette loi ne reconnaissait que deux modalités d'hospitalisations psychiatriques : le placement « volontaire » (à la volonté de l'entourage du patient) et le placement « d'office » (faisant intervenir l'autorité administrative, maire ou préfet).

Loi du 27 juin 1990

Une loi du 27 juin 1990 a abrogé et remplacé cette vieille « loi Esquirol », mais n'en a pas bouleversé l'économie générale. Si l'hospitalisation libre est désormais reconnue par la loi (la pratique et la réglementation l'avait déjà consacrée), les deux régimes d'hospitalisation sans consentement sont, eux, conservés. Leur appellation est certes plus conforme à la réalité, car il convient désormais de parler d'hospitalisation sur demande d'un tiers (HDT) et hospitalisation d'office (HO). Rappelons que, pour un(e) HDT, la loi exige depuis 1990 la production de deux certificats médicaux. Toutefois, « en cas de péril imminent pour la santé de la personne » et avec l'accord (plus théorique qu'effectif) du directeur de l'hôpital, « à titre exceptionnel », un certificat médical suffit (art. L. 3212-3, code de santé publique).
Dans le cas présent, les troubles mentaux manifestes, l'anosognosie et son corollaire, refus de soins et d'hospitalisation, la dangerosité pour autrui et le trouble patent à l'ordre public nécessitent que M. N. soit hospitalisé sous contrainte en urgence, en psychiatrie, pour y être à nouveau traité.

Hospitalisation d'office

Le médecin appelé sur place doit donc contribuer à faire réaliser une hospitalisation d'office. Mais pour que la mesure puisse être effectuée selon cette modalité, il faut que le maire de la commune accepte de prendre un arrêté qui l'édicte. L'interlocuteur est en effet le maire (ou un maire adjoint par délégation de compétence) et non le préfet dans cette procédure d'urgence. Le maire (ou le maire adjoint) demandera quasi systématiquement un certificat médical, alors que la loi elle-même n'exige qu' « un avis médical ou, à défaut, (...) la notoriété publique ». Le maire (ou le maire adjoint) prend son arrêté au vu de l'ensemble des informations dont il dispose, mais souvent se déplace pour apprécier lui-même la situation.
Il est à noter que dans les cas où le danger ne commande pas une intervention immédiate, le médecin qui souhaite réaliser une hospitalisation d'office doit se tourner vers le préfet du département. Et, de façon plus concrète, il doit joindre le médecin inspecteur de la santé publique à la DDASS (par téléphone ou en se déplaçant à son bureau) afin de motiver sa demande. Le plus souvent, il sera alors demandé au praticien requérant d'établir un rapport précis et détaillé, ainsi qu'un certificat médical. Si les choses vont jusqu'à leur terme, l'arrêté préfectoral sera pris par l'administratif de la préfecture qui a compétence pour le signer. Toutefois, cette voie est plus longue et la mesure n'est pas prise avant que ne s'écoulent plusieurs jours.
Dès que l'arrêté est pris, la force publique doit intervenir, si ne n'est pas déjà fait.
Notons que par exception, à Paris, ce sont les commissaires de police qui sont compétents en urgence pour arrêter « les mesures provisoires » (art. L. 3213-3, code de santé publique), et non le maire. Et l'arrêté est signé, en urgence comme en procédure courante, non par le préfet de Paris, mais par le préfet de police de la ville.

Une reconnaissance de la nécessité de soins

Pour la première fois, une loi, celle du 4 mars 2002 (art. 19), dispose que désormais, sauf en cas de danger imminent, l'hospitalisation d'office vise les personnes qui « nécessitent des soins en raison de troubles mentaux qui compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public ». Il faut donc saluer l'heureuse reconnaissance de la nécessité de soins pour ces patients, ce qui n'était pas reconnu explicitement dans le précédent texte de 1990. De même, la loi du 4 mars 2002 exige que, sauf danger imminent, il faut que la sûreté des personnes ou l'atteinte à l'ordre public soit compromise de façon grave, pour se retrouver dans la situation de HO. Et puis, dans l'ordre des termes du nouveau texte, la sûreté des personnes figure maintenant avant l'ordre public. Il reste cependant aux juridictions saisies à définir, au cas par cas, ce que recouvre ou pas la notion de gravité que la loi ne définit pas. On peut naturellement y voir un caractère restrictif, ce que laissait déjà envisager l'évolution des conditions de mise en hospitalisation d'office. En effet, la loi du 30 juin 1838 demandait que soit présent un état d'aliénation qui compromettrait (conditionnel, donc d'interprétation plus extensive) l'ordre public ou la sûreté des personnes. Puis, la loi du 27 juin 1990 a exigé que les troubles mentaux (et non plus l'état d'aliénation) compromettent l'ordre public ou la sûreté des personnes (présent de l'indicatif, donc d'interprétation plus restrictive). Il est cependant regrettable que, pour des raisons plus théoriques que véritablement sécuritaires, l'évolution de la législation n'ait pas concerné également la mesure de HO d'urgence.

Modèle de certificat médical pour une hospitalisation d'office

(Loi du 27 juin 1990)
Je, soussigné Docteur ................................., certifie avoir examiné ce jour :
- M. Pierre N.
- né le : ..........
- profession : ...........
- demeurant : ..................

Il ma été dit ( ce que vous n'avez ni vu ni entendu) qu'il aurait frappé sa femme et menacé de mort certains de ses voisins.
A l'examen ( ce que vous constatez et entendez personnellement) :
Sujet sthénique, agressif et menaçant, tenant des propos délirants à forte tonalité affective.
Délire essentiellement interprétatif avec thème central de persécution dans lequel il existerait un complot organisé par son épouse et auquel la police participerait également.
Profère des menaces de mort à l'égard de sa femme.
Déjà hospitalisé en psychiatrie en 1999 pour des troubles analogues.
(Procédure d'urgence)
Il en résulte que le comportement de cette personne révèle des troubles mentaux manifestes, entraînant un danger imminent pour la sûreté des personnes. Par conséquent, elle doit être admise en hospitalisation d'office pour y être soignée dans un établissement régi par la loi du 27 juin 1990 (art. L. 3213-2, code de santé publique).
(Procédure non urgente)
Il en résulte que l'intéressé nécessite des soins en raison de troubles mentaux qui compromettent la sûreté des personnes et/ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public (art. L. 3213-1, code de santé publique).

Fait à ......., le .........

(Signature)

Dr Michel GODFRYD Service de psychiatrie C, centre hospitalier Robert-Ballanger (Aulnay-sous-Bois)

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7331