Même si l'audience de ce matin, devant le tribunal de grande instance de Montpellier (Hérault), a toutes les chances de déboucher sur un report (probablement au mois de mai), elle n'en constitue pas moins un événement. « Notre combat pour la vérité va enfin être reconnu sur la place publique », se félicite Jeannette Goerrian, présidente de l'Association des victimes de l'hormone de croissance (AVHC).
Dans ce scandale sanitaire autour duquel 1 500 familles restent en attente de justice, c'est en effet la première fois qu'une juridiction va principalement assigner la Fondation Institut Pasteur et l'Association France-Hypophyse. La première, pour avoir fourni à Pascale Fachin un traitement à l'hormone de croissance porteuse du prion de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, en manquement à son obligation de sécurité de résultat ; la seconde pour le même manquement dans l'innocuité des produits qu'elle a fournis à Pasteur pour la fabrication de l'hormone, malgré l'alarme sonnée par la communauté médicale lors d'un congrès américain qui a déclenché le rappel international des lots suspects à partir de mai 1985.
Pascale Fachin est décédée à l'âge de 30 ans, le 12 juin 2001. Quelques jours plus tôt, le 25 mai, le rapport des experts établissait le diagnostic d'une maladie de Creutzfeldt-Jakob d'origine iatrogène. La jeune femme avait été opérée en septembre 1979 d'un craniopharyngiome. L'intervention avait entraîné un déficit pan-hypophysaire qui faisait craindre des effets sur sa taille. Elle a donc reçu un traitement par hormone de croissance, dispensé de janvier à juillet 1985. Un traitement qui ne produisit pas les résultats escomptés et ne fut donc pas renouvelé.
Pascale Fachin, qui pratiquait encore la danse en 1999, participant même à l'époque à des concours de rock, ressentit les premières atteintes de la maladie au mois d'août de la même année : troubles de l'équilibre, vertiges, crispations des jambes, tremblements des membres inférieurs. Puis des difficultés de la marche, à partir d'avril 2000 et une altération rapide de l'autonomie : progressivement grabataire, elle perd la parole en octobre de la même année, après une phase délirante, et elle devient alors incontinente, avec pose d'une sonde vésicale en novembre. Le 4 octobre, le Pr Ali Cherif (service neurologique de la Timone, à Marseille), pose le diagnostic de la maladie de Creutzfeldt-Jacob. Un diagnostic que les experts désignés par le tribunal de grande instance de Paris, les Prs Billette, de Villemeur et Cathelineau, confirment le 20 février 2001, après une recherche positive de la protéine 14.3.3.
Trois bons de distribution d'hormones
Pour établir un lien entre le développement de la maladie et l'administration de l'hormone de croissance, le centre de références de la MCJ iatrogène, à la Pitié-Salpêtrière, a produit les trois bons de distribution de l'hormone édités par la Pharmacie centrale des hôpitaux de Paris à Pascale Fachin. Le premier émanait du laboratoire KABI et les deux suivants de l'Institut Pasteur.
Le très pugnace avocat de la famille de la victime, Me Nicolas Jonquet, dans l'assignation qu'il a rédigée, rappelle qu'à la suite d'un congrès qui s'était déroulé en Floride et qui révélait la possible contamination de l'hormone de croissance extractive, les autorités administratives américaines en suspendaient le 19 avril 1985 la délivrance, suivis par de nombreux pays, et notamment la France, le 23 avril suivant. De ce fait, Pascale Fachin, après l'hormone KABI en février et mars, a reçu en avril et mai une hormone de France-Hypophyse.
Selon l'avocat, l'association, au mépris des évidences médicales qui avaient été rendues publiques, a prétexté du lobbying des laboratoires qui produisaient une hormone de synthèse, pour continuer à écouler les lots d'origine humaine qu'elle vendait au prix fort à la Pharmacie centrale des hôpitaux de Paris : « Une faute gravissime », pour laquelle réparation est demandée in solidium à Pasteur et à France-Hypophyse, devant le tribunal de Montpellier.
La famille Fachin, qui s'était rapprochée des associations de défense des victimes de l'hormone de croissance, savait que le gouvernement avait créé une indemnisation administrative. « Elle a choisi de la refuser, explique l'avocat, estimant qu'en l'accordant, l'Etat voulait acheter son silence et empêcher un nouveau scandale sur les traitements établis à partir de produits issus du corps humain, après celui du sang contaminé. »
Le civil moins long que le pénal
Certes, la voie pénale reste ouverte aux victimes indemnisées, mais l'instruction centralisée au tribunal de grande instance de Paris dure depuis plus de dix ans et elle ne touche que des personnes physiques, et non des institutions comme celles qui sont en cause dans ce dossier. La famille Fachin, contrairement à la plupart des familles des 85 victimes recensées à ce jour, a donc choisi, plutôt que s'engluer dans la procédure pénale, d'aller au civil pour dénoncer les manquements et les fautes qui ont été commis dans ce dossier. Sa démarche ne vise pas tant le versement d'une indemnisation judiciaire qu'une mise sur la place publique des dysfonctionnements accumulés. Pour éviter qu'ils ne se renouvellent.
L'avocat se félicite donc de ce que, pour le coup, l'indemnisation administrative n'ait pas « maîtrisé » une famille, pour reprendre le terme pour le moins malheureux utilisé dans le compte-rendu de la réunion interministérielle qui s'est déroulée à Matignon le 7 octobre 1993, sous la présidence d'Anne de Danne, la conseillère chargée des questions santé du Premier ministre de l'époque, Edouard Balladur, en présence des représentants des ministères de la Justice, des Affaires sociales et de la Santé. Compte-rendu dont nous publions de larges extraits ci-dessous.
C'est cette réunion qui a conduit à la création de l'indemnisation des familles, au motif qu' « il est hautement inopportun qu'un débat public s'engage sur (...) les différentes responsabilités (...) dont il est impossible de faire le partage ». Le verdict de Matignon est tombé, lapidaire : « Chacun des intervenants a manqué de prudence à chaque stade (collecte, production, distribution). »
L'Institut Pasteur, quant à lui, a publié un communiqué pour fustiger une procédure qui « va à l'encontre de la recherche de la vérité ». Selon lui, en effet, « elle s'appuie sur la loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, loi qui désigne le producteur comme responsable, même en l'absence de faute et ce, sans autre preuve à rapporter. Or, l'Institut Pasteur n'était pas le producteur» et « la Pharmacie centrale des hôpitaux de Paris, qui a fabriqué et distribué le médicament n'est pas assignée et sera donc absente ».
« L'audience de Montpellier est très importante, commente quoi qu'il en soit Jeannette Goerrian, car elle témoigne qu'on n'achète pas le silence des familles. » Même si l'affaire, comme c'est probable, est reportée, Montpellier pourrait bien faire date dans l'autre drame de la contamination.
Une instruction de plus de dix ans
C'est la juge Bertella-Geffroy, du tribunal de grande instance de Paris, qui instruit dans le cadre d'une saisine in rem les plaintes déposées par dizaines dans l'affaire de l'hormone de croissance.
On estime généralement entre 1 000 et 1 500 le nombre des enfants qui auraient pu être contaminés en France par des stocks suspects d'hormones de croissance extraites d'hypophyses humaines contaminées par le prion pathogène, dans la période 1984-1985. A ce jour, 81 décès ont été recensés.
Onze mises en examen ont été prononcées, parmi lesquelles celles de Fernand Dray, ancien responsable de la fabrication des hormones à l'Institut Pasteur (« abus de confiance, corruption passive et recel, et complicité d'exercice illégal de la pharmacie »), du Pr Jean-Claude Job, ancien président de France-Hypophyse, et de Jacques Dangoumau, ancien directeur de la Pharmacie et du Médicament au ministère de la Santé.
Quatre médecins ont également été mis en examen pour « homicide involontaire ». Ces collaborateurs de l'association France-Hypophyse sont soupçonnés de négligence et d'imprudence dans la collecte d'hypophyses entre 1982 et 1985.
De source judiciaire, on dit que l'instruction est sur le point d'être bouclée. Mais le procès, pour un certain nombre de raisons techniques, ne pourrait intervenir dans le meilleur des cas avant l'année prochaine.
La réunion à Matignon qui a décidé d'indemniser les victimes
Voici quelques extraits du compte rendu officiel, à en-tête du secrétariat général du gouvernement, de la réunion qui s'est déroulée le 8 octobre 1993 à l'hôtel Matignon sous la présidence d'Anne de Danne, conseiller technique auprès d'Edouard Balladur (questions santé), avec les représentants des ministres des Affaires sociales et de la Justice.
« Compte tenu du nombre de lots contaminés et de la période de latence (entre cinq et quinze ans), l'on peut raisonnablement exclure, dans l'état actuel des connaissances et des informations, que le nombre maximal de personnes susceptibles d'être atteintes par la maladie soit supérieur à 500. Il convient en tout état de cause d'exclure d'une éventuelle indemnisation par l'Etat des personnes atteintes de la MCJ à la suite de contamination par voie alimentaire (viande ou lait).
« Il est extrêmement difficile de faire un partage de responsabilité entre les différents intervenants dans cette affaire : l'Institut Pasteur, ou plus exactement certains chercheurs de l'Institut Pasteur qui ont procédé à l'extraction d'hormones, la Pharmacie centrale des Hôpitaux de l'Assistance publique de Paris qui a procédé au conditionnement et à la distribution des hormones, l'Association France-Hypophyse chargée de la collecte de ces hypophyses et du contrôle de l'attribution de l'hormone, et l'Etat qui contrôlait et contrôle cette association. Chacun des intervenants a en effet manqué de prudence à chaque stade (collecte, production et distribution).
« Le ministère du Budget demande s'il est véritablement possible d'établir un lien de causalité entre les traitements reçus et la maladie et, par voie de conséquence, d'établir la responsabilité de l'Etat.
« Le ministère des Affaires sociales répond que cette MCJ iatrogène possède un profil clinique différent de la MCJ classique (...) Il est donc cliniquement possible de reconstruire le lien entre la maladie et le traitement. C'est au demeurant une des différences fondamentales entre cette affaire et celle du sang contaminé. S'agissant des différentes responsabilités, dont il répète qu'il est impossible d'en faire le partage, il est hautement inopportun qu'un débat public s'engage sur ce point.
« (...) Le ministère des Affaires sociales propose une indemnisation sur des bases transactionnelles qui aurait l'avantage d'éviter que la responsabilité de l'Etat soit invoquée une nouvelle fois devant les tribunaux (...) Ce mécanisme, qui implique que les victimes renoncent à toute poursuite à l'encontre de l'Etat et des autres personnes ou institutions dont la responsabilité pourrait être mise en jeu, n'a naturellement d'intérêt que si le montant de l'indemnité transactionnelle est significative. Il propose des indemnités de l'ordre de celles versées aux personnes atteintes du SIDA.
« Le ministère de la Justice confirme que la renonciation aux poursuites pourrait être valablement opposée aux victimes. »
Avant cette réunion, une note du directeur du cabinet du ministre des Affaires sociales, Henri Paul, adressée à Anne de Danne, préconise, le 20 juillet, « un geste de solidarité à l'égard des familles éprouvées par la maladie de Creutzfeldt-Jakob » : « C'est la solution qui permettra le mieux de maîtriser les parents et de se placer sur le terrain de la solidarité nationale et non de la faute. »
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