De notre correspondante
à New York
Chaque jour, la lumière du soleil remet à l'heure notre horloge cérébrale interne (le noyau suprachiasmatique dans l'hypothalamus) qui contrôle nos rythmes circadiens, comme le cycle veille/sommeil et la température de notre corps.
La lumière est détectée chez les mammifères seulement par les yeux, à la différence d'autres vertébrés. Les cônes et les bâtonnets rétiniens, seuls photorécepteurs connus de l'il, transmettent le signal lumineux à des neurones, les cellules ganglionnaires rétiniennes, qui relaient l'information au cerveau via le nerf optique.
Or, certaines personnes fonctionnellement aveugles à la suite d'une dégénérescence rétinienne peuvent encore ajuster leurs rythmes biologiques sur le cycle lumière/obscurité du monde extérieur. De même, les souris privées de cônes et de bâtonnets conservent une horloge interne sensible à la lumière.
Pourrait-il donc exister d'autres photorécepteurs dans la rétine qui envoient le signal lumineux à l'horloge circadienne ? On restait jusqu'à récemment dans l'inconnue sur la nature des photorécepteurs circadiens et de leur photopigment.
Une série de travaux de cinq laboratoires différents, publiés ces deux derniers mois, décrit un nouveau système de détection de la lumière. Les différentes équipes y sont parvenues par des voies différentes, moléculaires, anatomiques, fonctionnelles, électrophysiologiques et immunochimiques, mais leurs résultats concordent.
Les travaux de Berson et coll. (Brown University, Providence), publiés cette semaine dans « Science », sont probablement les plus déterminants. Cette équipe de neurophysiologistes démontre clairement que les cellules ganglionnaires rétiniennes innervant le noyau suprachiasmatique répondent directement à la lumière, autrement dit sont intrinsèquement photosensibles.
Normalement, les cellules ganglionnaires rétiniennes sont activées indirectement par les signaux lumineux venant des cônes et des bâtonnets. La plupart de ces cellules, chez le rongeur, envoient leurs longs axones au cortex visuel, mais 1 à 2 % d'entre elles se projettent sur d'autres régions du cerveau, dont le noyau suprachiasmatique (NSC) où siège l'horloge interne.
La mélanopsine
Berson et coll. ont marqué les cellules ganglionnaires rétiniennes innervant le NSC en injectant dans l'hypothalamus de rats un colorant fluorescent qui est transporté de façon rétrograde dans les neurones. Ils démontrent que ces cellules marquées répondent à la lumière par une activité électrique (dépolarisation), même lorsque tous les signaux venant des cônes et des bâtonnets sont bloqués. Ce sont donc bien des photorécepteurs.
Une autre recherche, signée par Hattar, Berson, et coll. sous la direction du Dr Yau (Johns Hopkins University), suggère que la mélanopsine pourrait être le photopigment qui permet aux cellules ganglionnaires rétiniennes de détecter la lumière. A l'aide d'anticorps dirigés contre la mélanopsine, les chercheurs montrent en effet que cette protéine est présente dans les cellules ganglionnaires rétiniennes marquées qui sont photosensibles. Il reste toutefois à démontrer que la mélanopsine est bien un photopigment, c'est-à-dire qu'elle réagit à la lumière, et qu'il n'existe pas d'autre photopigment circadien.
Les chercheurs ont fait aussi une autre découverte intrigante. Les cellules ganglionnaires rétiniennes dotées de mélanopsine ne vont pas uniquement vers le NSC, mais aussi vers d'autres régions du cerveau, dont celle qui contrôle la contraction de la pupille. Ainsi, l'effet de ce système pourrait ne pas se limiter à l'horloge ou au réflexe pupillaire. Chez l'homme, le niveau de lumière peut moduler l'humeur et la performance.
Physiologie générale et bien-être
« Ce système photorécepteur pourrait être extrêmement important pour notre physiologie générale et notre bien-être », pense un expert en photopigment, Russel Foster (Imperial College of Science, Technology and Medicine, Londres).
Ces cellules ganglionnaires rétiniennes photosensibles, dotées de mélanopsine, présentent des caractéristiques uniques fort appropriées pour détecter la luminance générale, une mission bien différente des cônes et des bâtonnets qui détectent les détails de la lumière pour former l'image. Ces cellules, en effet, envoient un large réseau de dendrites qui s'étend à travers la rétine, un peu comme le dessous d'une canopée de branches d'arbres, et sont lentes à réagir aux changements de luminance. Cela permet une lecture stable des niveaux moyens de la lumière, ce dont a besoin le système circadien.
« C'est un système visuel ne formant pas d'images qui opère parallèlement à celui auquel nous pensons depuis toutes ces années. Ceci est une nouvelle forme de représentation de la lumière par le système nerveux, une nouvelle façon pour le cerveau de réagir à l'environnement visuel », note dans un communiqué le neurochercheur David Berson.
« Science » du 8 fevrier 2002, pp. 1065 et 955.
(1) « Nature » du 31 janvier 2002.
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