Serait-on à la veille de l'une de ces flambées sociales qui embrasent régulièrement le monde de la santé ? Peut-être pas. Mais l'accumulation des conflits, la spirale des revendications qui s'alimentent les unes les autres, chaque exigence satisfaite dans un domaine en faisant naître d'autres ailleurs, annoncent une zone des tempêtes que le gouvernement va devoir traverser dans la plus mauvaise configuration qui se puisse concevoir : celle de l'approche d'élections décisives qui voudrait que l'on ne soit point trop intransigeant avec les différentes catégories sociales et celle d'une dégradation de l'économise qui impose, à l'inverse, une rigueur renforcée.
Dans le secteur hospitalier, le gouvernement se retrouve pris au piège des 35 heures. Martine Aubry n'avait peut-être pas imaginé à quel point sa réforme serait, dans le secteur dont elle avait la charge à l'époque, économiquement coûteuse et socialement périlleuse. La création de 45 000 postes de personnels hospitaliers sur trois ans (dont plus de 12 000 dès 2002 pour un coût de l'ordre de trois milliards de francs) représente un effort considérable et l'on comprend que Bernard Kouchner ait demandé aux personnels « de ne pas trop tirer sur la corde ». Cet effort n'a cependant pas permis au gouvernement d'obtenir l'aval de la majorité des syndicats de ce secteur où certaines organisations exigeaient la création de 80 000 emplois. Les quatre syndicats de personnels et de cadres qui ont approuvé les propositions ne représentent que 35 % des agents hospitaliers. Encore faut-il ajouter que, dans certains établissements, les représentants des syndicats signataires se désolidarisent de la position de leur fédération nationale.
Grèves annoncées
Déjà, des mouvements de protestation sont prévus pour le mois d'octobre, qui pourraient être mobilisateurs si l'on en juge par le succès des manifestations organisées, il y a quelques jours, contre l'accord sur les 35 heures à l'hôpital public.
Pour le gouvernement, le pire, cependant, est peut-être à venir. Les 35 heures à l'hôpital imposent, en effet, une réorganisation du travail, un bouleversement des habitudes qui n'iront pas sans douleur. C'est à ce moment-là, lorsqu'il s'agira de mettre en uvre cette réforme, que les conflits les plus durs risquent d'éclater au niveau local.
Les négociations avec les médecins hospitaliers sont, elles aussi, des plus laborieuses. Ces praticiens avaient obtenu, dans le cadre des protocoles Aubry de 2000, des revalorisations de salaires et des primes non négligeables (la prime créée pour les médecins qui n'ont pas de secteur privé à l'hôpital est de 2 500 F par mois pour l'instant). A l'origine, ils n'avaient pas fait de la réduction du temps de travail une de leurs revendications essentielles ; mais, aujourd'hui, ils n'entendent nullement être les laissés-pour-compte des 35 heures à l'hôpital public. Chaque avancée faite par le ministère dans ce domaine, est jugée insuffisante par les quatre syndicats de praticiens qui négocient, même si toutes les organisations ne font pas une analyse identique de la situation. Et les mouvements de grève annoncées pour les journées du 5 et du 12 octobre prouvent que les organisations de médecins n'abandonneront pas facilement leurs revendications. Sans doute est-ce pour éviter que la profession ne s'embrase que le gouvernement laisse entendre qu'il peut améliorer ses propositions à l'égard des médecins hospitaliers. « Il y a des marges de manuvre », estime, en effet, Bernard Kouchner (« le Quotidien » d'hier).
Colère des cliniques
Contraintes pour financer le début des 35 heures d'accorder aux hôpitaux une augmentation de 4,8 % de leurs budgets en 2002, Elisabeth Guigou a, du même coup, déclenché la fureur des cliniques privées qui, n'ayant obtenu que 3,5 % de hausse de leur objectif de dépenses, s'estiment victimes d'ostracisme. Ce taux, affirment-elles, ne leur permet nullement de financer les hausses de salaires de leurs personnels moins bien payés que ceux des hôpitaux. Les cliniques, dont l'activité a été perturbée, cette année, par de nombreux conflits sociaux et qui n'arrivent ni à recruter ni à garder des infirmières en nombre suffisant, ont lancé, avec l'une de ces coordinations de médecins qui se constituent ou resurgissent en période de crise, un appel à la grève les 24 et 25 octobre, avant d'envisager à partir du 5 novembre une... grève illimitée.
Sans doute faut-il faire la part de la gesticulation syndicale traditionnelle, surtout en période de débat parlementaire sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Mais le gouvernement peut d'autant moins se désintéresser de ce mouvement que, si elle était bien suivie, une grève des cliniques se traduirait par un surcroît de travail et de problèmes pour les hôpitaux publics.
Pas de lapin
Autre front préoccupant pour l'équipe de Lionel Jospin : celui de la grogne persistante des médecins libéraux. Une grogne alimentée par le refus réitéré du gouvernement de supprimer le système actuel qui permet de baisser les tarifs médicaux en cas de dérive des dépenses de médecine de ville. Dans ce domaine-là, les pouvoirs publics semblent dans une impasse et on voit mal quel lapin ils pourraient sortir de leur chapeau. La mise en place, qu'ils semblent envisager, d'un système de conventionnement à deux étages (où, par exemple, les médecins s'engageraient à respecter des normes de bonne pratiques, et eux seuls, et pourraient échapper à des sanctions en cas de dérapage des dépenses) n'est sûrement pas de nature à faire taire les critiques de la CSMF, de la FMF et du SML. D'autant plus que les médecins, là aussi, ont été excédés par le taux d'évolution des dépenses de médecine de ville pour 2002 qui est limité à 3 %, soit nettement moins que ce qui est accordé à l'hôpital public. « Le gouvernement a fait un choix politique fort : celui de privilégier l'hôpital public », déplore le Dr Michel Chassang, président de l'Union nationale de omnipraticiens français (UNOF, qui regroupe les généralistes de la CSMF).
Ces orages qui s'amoncellent sur l'horizon de la politique de santé sont d'autant plus inquiétants pour l'équipe de Lionel Jospin qu'il sait que l'opposition est là, aux aguets, prête à faire flèche de tout bois. Ne serait-ce que pour récupérer les voix des médecins libéraux qui s'étaient égarées dans l'abstention ou réfugiées à gauche après le plan Juppé. Le débat parlementaire sur le PLFSS offrira une tribune de choix au RPR, à l'UDF et à DL pour fustiger la politique de santé de Lionel Jospin et le côté irréaliste des objectifs de dépenses maladie et des prévisions d'équilibre de la Sécurité sociale sur lesquelles est fondé le PLFSS. Pour faire bon poids, les communistes, alliés indéfectibles du monde de la santé, ne seront pas les derniers à dire que « le compte n'y est pas » et qu'il faut faire plus pour la santé.
Les marges de manuvre du gouvernement sont, dans le dossier de la politique de santé, des plus réduites. la détérioration de la situation économique, inévitable malgré les déclarations rassérénantes de Laurent Fabius qui ne veut pas ajouter du désespoir à la déprime universelle de cette rentrée 2001, incite à serrer les boulons. Même si les prévisions sont difficiles à établir en cette période - les taux de croissance retenus pour l'an prochain varient, selon les instituts de conjoncture de 1,2 % à 2,7 % -, la plupart des économistes jugent béatement optimistes les chiffres du gouvernement. Dans ces conditions, l'heure n'est plus aux libéralités et aux concessions traditionnelles en période préélectorale.
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