La santé en librairie
Le titre de l'introduction donne d'emblée le ton du livre, en affirmant que « la personne malade est au cur du soin ». De cette personne malade en effet, il sera d'abord et avant tout question : n'est-ce pas cette personne malade, du reste « jamais réductible à son état de maladie », qui confère « valeur et légitimité » à ce qui se fait à l'hôpital ? Pas question donc de soumettre cette personne à « des affirmations générales », alors que chaque histoire, chaque relation, est singulière.
La réalité hospitalière montre vite cependant combien ces principes simples sont difficiles à mettre en uvre, dans cet « espace d'exception qui recueille une multitude de demandes difficilement exprimables, d'urgences et de souffrances qui ne savent plus où aboutir », et combien le risque est grand pour l'hôpital d'aggraver l' « état de relégation » que représente la maladie pour beaucoup plutôt que d' « offrir - plus qu'un refuge - un lieu de reconnaissance, de réhabilitation, de solidarité ».
Au service de la vie
Créateur avec Alain Cordier et Didier Sicard de l'espace éthique de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, président d'Arcat-Sida, professeur d'éthique médicale, Emmanuel Hirsch est avant tout philosophe. Aussi, s'il fait au début de son livre une brève incursion dans le particulier, en mettant en scène les personnages et la vie du hall d'accueil de l'hôpital Saint-Louis à Paris, et s'il s'appuie sur les expériences spécifiques qu'il a acquises à l'hôpital et dans les associations, c'est bien à une réflexion d'ordre général qu'il convie son lecteur.
C'est ainsi qu'il rappelle les fondements de valeurs hospitalières traditionnelles qui ne doivent pas s'effacer dans un contexte de technologie avancée et de préoccupations financières, qu'il s'interroge sur la notion de qualité de vie, à laquelle il préfère d'ailleurs substituer celle de qualité d'une vie, ou qu'il différencie besoin d'éternité et désir d'immortalité, dans une première partie destinée à réaffirmer la vocation hospitalière « au service de la vie », précisément là où cette vie est la plus fragile, la plus vulnérable, la plus menacée.
Servir la vie aujourd'hui à l'hôpital, c'est d'abord appliquer cette « démocratie du soin »« fortement sollicitée par Bernard Kouchner ». Ce qui impose d'apporter aux malades une information de qualité, préalable indispensable à un consentement qui ne soit pas réduit à « une démission contrainte ». C'est aussi se méfier du principe de précaution vite traduit en termes d'inertie et d'immobilisme, pour lui substituer la prudence au sens aristotélicien du terme.
Pour montrer l'importance et la profondeur de l'engagement qui s'impose au soignant pour que cette démocratie du soin ne soit pas qu'une belle expression, l'auteur fait ensuite appel à ces situations particulièrement exigeantes ou extrêmes que sont la douleur, la démence, la dépendance. Pour illustrer le « devoir de non-abandon » de la personne qui s'impose à l'hôpital et à tous ceux qui participent à son action, c'est du côté du grand âge et des personnes en fin de vie qu'il va trouver la justification de son propos. Et pour achever d'ouvrir l'hôpital pour une démocratie complète, il s'intéresse aux réseaux qui s'articulent désormais avec les soins hospitaliers et exalte le rôle des bénévoles, « mode renouvelé d'implication de la collectivité face aux situations qui la concernent directement ».
Si, sur le chemin de la démocratie sanitaire, l'auteur a posé les jalons fermes de principes nettement affirmés, il faut pourtant noter que les questions se bousculent dans tous les chapitres, témoignant des contraintes, des contradictions, de la complexité de la vie hospitalière et de la vie de malade, de la singularité des situations, tout comme de la profondeur de l'effort de réflexion nécessaire. Elles disent encore le caractère utopique de cette démocratie du soin si difficile à préciser et à atteindre, tout autant que le « devoir d'utopie » que l'auteur assigne aux hospitaliers en particulier, à la société en général.
Un haut-lieu de créativité
Ayant confié le soin de la préface de son livre à un ancien ministre de la Santé, Claude Evin, et marqué ainsi la dimension politique qu'il entend donner à son propos, Emmanuel Hirsch a donné la parole, dans une postface, à la directrice et au médecin-chef de l'hôpital maritime de Berck, qui dépend de l'Assistance publique et accueille de grands malades ou handicapés. « A mon arrivée, l'hôpital maritime aurait pu m'apparaître comme un Radeau de la Méduse, mais j'y ai vu la Belle au bois dormant », note la directrice de cet hôpital. Il semble qu'elle en ait fait, avec la coopération active du médecin-chef, un haut-lieu « de liberté et de créativité », où l'on accueille sans idée préconçue les situations inédites, où la personne est bien au cur du soin et où la relation à l'autre chère à Emmanuel Hirsch est au cur des préoccupations des soignants. Et les propos simples et directs des deux responsables de cet hôpital maritime donnent au livre une touche de chaleur humaine qui ne peut que bénéficier à la réflexion philosophique.
« La Révolution hospitalière, une démocratie du soin », Emmanuel Hirsch, Bayard Editions, 276 pages, 19,90 euros.
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