Musique, alcool et chants festifs : vendredi soir, à l'internat de l'hôpital de Saint-Malo, les ingrédients d'un tonus réussi sont au complet. Plusieurs internes d'hôpitaux d'Ille-et-Vilaine ont répondu présent à l'invitation des internes de l'hôpital de Saint-Malo. Au total, une vingtaine d'étudiants dansent et boivent dans la salle à manger de l'internat, pour oublier, l'espace d'une soirée, un été caniculaire éprouvant.
Mais, vers minuit, l'alcool monte aux têtes, et la fête entre carabins tourne mal. Des chaises et des fauteuils sont jetés par les fenêtres, brisant deux vitres au passage. De l'alcool est répandu sur le sol. Les carabins redoublent de rires et de cris. Le hic : quelques mètres seulement séparent l'internat des immeubles les plus proches. Les voisins, agacés par le tapage, appellent la police. Arrivent deux policiers, suivis de près par des renforts appelés par la surveillante de garde de l'hôpital, non coutumière de ce type d'événement et qui a vainement tenté de mettre un terme au vacarme.
A la vue des voitures de police, les internes venus des quatre coins du département prennent la poudre d'escampette. Reste quatre hommes et deux femmes, tous de l'hôpital malouin : ils sont embarqués dans le fourgon. Parmi eux, un chirurgien en remplacement pour l'été, qui loge à l'internat, et qui, ce soir-là, est d'astreinte. Pour lui, comme pour les cinq internes, la nuit se termine au commissariat, en cellule de dégrisement.
La direction de l'hôpital a demandé à un autre chirurgien, qui arrivait de vacances, de venir assurer la permanence pour les urgences. Le samedi matin, la police a relâché le chirurgien. Les internes ont été entendus jusqu'au soir. L'une d'elle, encore sous le coup de l'émotion, raconte : « Cette histoire me dépasse complètement. Les médias en font toute une affaire, alors qu'il ne s'est rien passé d'extraordinaire. C'était une soirée d'internat comme les autres. Il n'y a eu ni vomis, ni insultes, ni violence, contrairement à ce qu'écrit la presse. Personne ne nous a dit qu'on faisait du bruit : j'ai été très surprise de voir la police débarquer, nous mettre les menottes aux mains, sans explications, et nous embarquer comme ça. Tout juste s'ils répondaient à nos questions dans le fourgon. On a passé la nuit au poste sans pouvoir s'exprimer. »
Une expérience qui laissera un goût amer à la jeune interne de Saint-Malo : « Je ne comprends pas : sur 6, on était 4 à avoir moins de 0,5 gramme d'alcool dans le sang. On n'a pas pris le volant, on n'a rien fait de mal. Ce n'était pas une grande beuverie : sur la vingtaine d'internes présents au tonus, plus de la moitié étaient sobres. Comme d'autres, je n'ai rien dégradé. J'espère que la justice le reconnaîtra, car j'ai peur des répercussions sur ma carrière à venir. »
La colère du député-maire
Yves Lamy, le directeur de l'hôpital, a déposé plainte contre les dégradations qui s'élèvent à 1 168 euros, d'après le devis officiel, lequel comprend la réparation des deux vitres, le rachat du voilage, de vaisselle, de chaises et le nettoyage du sol. En plus, les internes s'engagent à remettre en l'état la salle à manger à titre de travaux d'intérêt général. « Consécutivement à ces faits, les sanctions administratives appropriées seront prises par les autorités habilitées », indique Yves Lamy.
Le procureur de la République de Saint-Malo, Jean-Luc Desports, recherche les personnes qui ont quitté les lieux avant l'arrivée de la police, « pour déterminer leur responsabilité dans les faits ». Il attend « les résultats de l'enquête pour prendre des décisions ».
Quant au président du conseil d'administration de l'hôpital, à la fois maire de Saint-Malo et député UMP d'Ille-et-Vilaine, il ne décolère pas. « La sanction doit être exemplaire », confiait René Couanau à « Ouest-France » jeudi - celui-là même qui, dans son rapport sur l'organisation interne de l'hôpital, recommande d'associer davantage le corps médical aux décisions des établissements. Il ajoute : « Je veux que cette affaire ait valeur d'exemple pour que ça ne se reproduise pas dans notre établissement hospitalier. »
Une sévérité que le Dr Bruno Fagnet, médecin en rééducation à l'hôpital de Saint-Malo et ancien président de la CME, juge un peu exagérée : « Vous savez, des fêtes, il y en a souvent dans les internats de France et de Navarre, ça se comprend, c'est leur lieu de vie. Il est fréquent que les locaux soient salis, mais les internes assument : ils nettoient et payent, tout rentre vite dans l'ordre. »
Un interne de l'hôpital malouin qui n'a pas pris part à la petite sauterie, et qui préfère garder l'anonymat pour « protéger sa carrière », tient lui aussi à défendre ses jeunes collègues : « C'était une fête privée, avec des internes qui n'étaient pas en service ce soir-là et qui n'avaient aucune garde à prendre le week-end suivant. Quand on a des soirées, c'est normal qu'on invite les gens à l'internat, puisqu'on n'a pas d'appartement. L'été a été particulièrement difficile, tous avaient besoin de décompresser. »
Le président de l'Intersyndicat national des internes des hôpitaux (ISNIH) vole également au secours de ses confrères. « Des tonus qui ont débordé, ça fait 200 ans que ça existe, dit le Dr Olivier Guérin . Ce qui a changé, c'est la tolérance des directeurs, désormais proche de zéro, alors que les débordements sont, je crois, moins importants qu'il y a trente ans. A ma connaissance, il n'y a jamais eu de blessés graves ou de sévices, mais uniquement du matériel cassé ou des tags sur la façade de la direction - ce qui, j'en conviens, n'est pas excusable pour autant. Mais les internes sont responsables : ils remettent en état les locaux avec les deniers de l'internat. Ainsi, l'incident n'a jamais débordé l'enceinte hospitalière. La venue de la police, cette fois-ci, illustre bien l'évolution des tolérances vis-à-vis des tonus. »
Sans en connaître le détail, le président de l'ISNIH trouve cet événement « regrettable ». « Mais, insiste-t-il, en aucun cas cela ne doit remettre en cause l'existence des salles de garde, où les médecins se retrouvent pour faire la fête, mais aussi pour se connaître et échanger des renseignements médicaux. Les salles de garde sont des embryons de réseaux, de là naît la confraternité. Il ne faut pas les supprimer. »
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