Le XVIIIe siècle avait été celui de la connaissance et de la classification, mais les voyages montrent qu'à côté des corps chimiques et des végétaux, il y a aussi une plaisante diversité humaine, correspondant à autant de « races ».
A partir du milieu du XIXe siècle, l'idée de zoo humain prend corps, les voyageurs rapportent dans leur bagage d'authentiques indigènes, qui seront donnés en spectacle dans les capitales européennes, à la jonction du voyeurisme et d'une intention de se cultiver. Londres montre la célèbre Venus Hottentote, puis suivront, au gré des modes : bushmen, zoulous et Ashantis.
Vers 1859, P.I. Barnum installe au cur de Manhattan sa collection de bizarreries : les derniers aztèques au crâne conique, de femme à barbe suisse, les vrais jumeaux siamois, une mère afro-américaine et ses enfants albinos. Le succès de ces « freak shows » qui mêlent monstruosité et voyeurisme ethnique est immense ; l'entreprise Barnum va parcourir le territoire américain, et viendra ensuite en Europe. Un peu plus tard, en 1874, l'Allemand Carl Hagenbeck a l'idée d'exhiber des « hommes exotiques », lapons et samoas, dans un projet « anthropozoologique ». Il est l'un des premiers à mêler des animaux et des nubiens ramenés d'Egypte. C'est vers la même époque que Geoffroy St-Hilaire rétablit l'équilibre financier du Jardin zoologique d'acclimatation en préférant exhiber les chameliers plutôt que les chameaux...
Une image de l'autre
Au travers de ces manifestations se construit pour l'Occident une image de l'autre. Inversant mais confirmant le colonialisme, l'indigène exhibé est montré ici, spectacularisé, scénographié. Il révèle pour l'homme blanc son existence d'être « naturel » et inférieur. Se confirme ainsi un darwinisme social qui débouchera sur un discours racial en construction. Les sujets montrés révèlent ce que nous serions restés si le progrès scientifique et la saine concurrence sociale ne nous avaient jetés en avant.
Du racialement et scientifiquement prouvé, on passe au populairement éprouvé. La foule se pressera longtemps devant les cages avec le sentiment de se cultiver, tout en satisfaisant aussi un voyeurisme d'où l'érotisme n'est pas absent. Entre les deux guerres mondiales, le cinéma imposera une autre forme de spectacle. On capte à travers toutes ces études (qui finissent par trop se superposer) le sentiment que « le zoo humain n'est pas l'exhibition de la sauvagerie mais la construction de celle-ci ».
Ouvrage collectif sous la direction de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boetsch, Eric Deroo, Sandrine Lemaire, Ed. la Découverte, 480 p., 32 euros..
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature