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Selon le socio-anthropologue Jean-Pierre Poulain*, des différences de comportements alimentaires entre les hommes et les femmes se retrouvent dans tous les pays européens : les femmes sont plus réflexives, plus intéressées par les aspects nutritionnels de leur alimentation ; les hommes sont plus spontanés et plus hédonistes, avec une relation à l'aliment moins réfléchie « qui va de soi ». Par conséquent, les hommes et les femmes ne se comportent pas de la même façon face aux choix alimentaires. Les hommes simplifient le petit déjeuner ; les femmes allègent plus volontiers le déjeuner ou le dîner. Les hommes conservent (traditionnellement) deux vrais repas (avec entrée, plat et dessert) ; les femmes, elles, sont confrontées au dilemme de garder une structure traditionnelle aux repas pour transmettre cette habitude à leurs enfants ou de supprimer certains plats par souci de simplification. Quant aux aliments jugés « essentiels », ils diffèrent aussi en fonction du sexe : les hommes ont un « modèle énergétique symbolique » fondé sur la viande et les féculents ; les femmes suivent un « modèle micronutrionnel d'équilibre alimentaire lié à la variété », avec, en première position, les fruits et les légumes, suivis de la viande, les féculents arrivant loin derrière.
Des différences dès l'enfance
Une étude récente menée (par Sodexho) dans onze pays, auprès d'enfants de 7 à 17 ans, retrouve l'émergence de ces deux modèles alimentaires : l'un, féminin, avec une alimentation simple et naturelle ; l'autre, masculin, fondé sur le plaisir gustatif et un rituel social valorisant une alimentation énergétique. Le petit déjeuner est privilégié chez les filles ainsi que les « produits simples et naturels » ; alors que les garçons préfèrent des « produits préparés et cuisinés ». Les garçons consomment plus de pommes de terre et de desserts lactés, les filles, davantage de fruits.
Les choix des femmes sont-ils liés aux messages nutritionnels délivrés régulièrement dans la presse féminine ? Sans doute, en partie, mais la différence de goûts entre les hommes et les femmes est surtout culturelle. Dès l'enfance, l'individu, à travers le mode alimentaire, s'inscrit dans un modèle qui lui inculque des règles (hiérarchie sociale, sens du propre et du sale, rôles respectifs de la femme et de l'homme) et structure ses rythmes biologiques. Ces modèles, transmis de génération en génération, concernent, entre autres, l'attribution donnée à certains aliments, qui sont masculins, féminins ou destinés aux enfants ; ces attributions étant variables selon les cultures.
Travailler sur la symbolique des aliments
Cette orientation reflète la différenciation des rôles et des tâches en fonction du sexe dans l'acquisition, la préparation et les manières de manger. La mère de famille occupe une position dominante, qui a cependant tendance à s'atténuer depuis 1968, avec moins de temps consacré à la cuisine. Ce rôle particulier des femmes, dans la transmission des modèles alimentaires, est aujourd'hui reconnu et entre en ligne de compte dans l'élaboration des messages nutritionnels. Pour modifier des habitudes alimentaires, il faut travailler sur les normes d'appartenance à des groupes et sur leurs systèmes de valeur. La dimension symbolique des produits peut être modifiée pour favoriser la consommation d'un aliment par un groupe jusqu'à présent non concerné. Par exemple, dans les années trente, aux Etats-Unis, les femmes ne proposaient pas de lait à leur mari de peur de les « déviriliser ». En travaillant sur l'image symbolique des produits laitiers (par exemple, en faisant présenter un yaourt bulgare par un homme moustachu), on est parvenu à toucher la gent masculine, qui consomme aujourd'hui ce type de produits sans arrière-pensée négative. Travailler sur des représentations alimentaires, les publicitaires le font pour cibler de nouveaux consommateurs ; les éducateurs pour la santé devraient également s'y attacher pour parvenir à modifier certains comportements.
D'après les communications de Jean-Pierre Poulain, socio-anthropologue à l'université de Toulouse le Mirail.
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