En 1853, le chimiste strasbourgeois Charles Gerhardt parvient, pour la première fois, à synthétiser le principe actif de l'aspirine, l'acide acétylsalicylique, mais ne perçoit pas l'intérêt de sa découverte. Ce n'est qu'en 1897 que l'Allemand Félix Hoffmann, en se fondant sur ses travaux, purifie le produit, en découvre les vertus thérapeutiques et en tire, dès 1899, les bénéfices que l'on sait.
Cent cinquante ans après la découverte de Gerhardt, les Laboratoires Sanofi et l'université Louis-Pasteur de Strasbourg (ULP) lui ont rendu hommage en plantant un saule blanc dans le jardin botanique de l'université. L'acide salicylique, forme naturelle de l'acide acétylsalicylique, est en effet présent dans l'écorce de cet arbre. Il y a quatre mille ans, les Egyptiens la consommaient déjà en décoction, pour traiter douleurs et maux de tête.
Né en 1816 à Strasbourg, Charles Gerhardt s'illustra par de nombreuses publications ; d'un caractère ombrageux, il mena une carrière en dents de scie à Montpellier puis à Paris, avant de succéder en 1855 à Louis Pasteur à la chaire de chimie de l'université de Strasbourg ; il mourut un an plus tard de péritonite et ne profita jamais du bénéfice de ses recherches. Il est vrai, a toutefois rappelé le président de l'ULP, le Pr Bernard Carrière, que Gerhardt avait d'autant moins de chance de déceler l'intérêt médical de sa substance qu'il ne le recherchait absolument pas : il s'inscrivait dans une recherche fondamentale, et son expérience illustre, comme souvent en histoire des sciences, la latence qui peut survenir entre une découverte et sa valorisation.
Nimbé d'une image sans doute excessive de chimiste maudit et mort pauvre, Gerhard a pourtant ouvert la voie à l'un des médicaments majeurs du XXe siècle, qui n'aurait jamais pu connaître un tel développement sans sa synthèse artificielle. Aujourd'hui encore, a rappelé le Dr Paul Ben Soussen, directeur médical de Sanofi-Synthélabo OTC, 75 % des Français ont en permanence de l'aspirine chez eux ; elle reste le médicament le plus connu et le plus utilisé dans le monde ; outre ses applications anti-inflammatoires, antipyrétiques et antalgiques classiques, son intérêt dans la prévention des maladies cardio-vasculaires a été relevé à partir des années 1950 et, aujourd'hui encore, l'aspirine garde « un avenir sans doute aussi glorieux que son passé ».
Planté au bord d'un étang du jardin botanique au cours d'une petite cérémonie, le jeune saule rappellera aux promeneurs la destinée à la fois triste et brillante de Charles Gerhardt, dont le souvenir est par ailleurs évoqué, à Strasbourg, par une rue et un amphithéâtre de la faculté de pharmacie. Au-delà du sort de Gerhardt lui-même, l'exploitation précoce de sa découverte aurait pu aussi changer le cours de l'histoire de l'industrie pharmaceutique : Aspirine®, commercialisée par Bayer à partir de 1899, devint jusqu'en 1918 le « médicament allemand » par excellence, et contribua largement à l'expansion de l'industrie allemande, alors que la France a longtemps souffert de son retard dans ce secteur d'activité.
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