De notre envoyé spécial à Clermont-Ferrand
Depuis le début de l'année, l'inquiétude montait parmi les Clermontois : presque pas une semaine sans un nouveau cas de méningite à méningocoque de type C. Et sur les treize derniers mois, 18 cas au total étaient dénombrés à l'intérieur d'une bande centrale du département du Puy-de-Dôme autour du chef-lieu, dont quatre mortels.
Le vendredi 11 janvier, le ministre délégué à la Santé réunissait donc à Paris les médias pour annoncer la plus grande opération de vaccination jamais lancée en France : d'ici au 9 février, date des vacances scolaires, 80 000 jeunes âgés de 2 mois à 20 ans révolus vont être vaccinés, dont 65 800 élèves scolarisés dans 279 établissements, dans 84 communes de sept cantons du département du Puy-de-Dôme (Tauves, Billom, Vertaizon, Pont-du-Château, Rochefort-Montagne, Herment, Bourg-Lastic).
Mais aussitôt l'annonce faite, ce fut la panique. Dès le lendemain, le Dr Jacques Roussel, président de MG-France 63, et le Dr Pierre Méry, président de l'UNOF-CSMF 63, écrivaient à Bernard Kouchner pour s'en faire l'écho : « La panique que vous avez immédiatement suscitéese traduit par des afflux de demandes de renseignements de la part des familles (...). Les médecins généralistes sont confrontés à cette situation sans même avoir la moindre information préalable, puisque vous avez préféré l'impact des médias nationaux (...), au mépris de leur propre existence, dans la relation médecin-malade et de leur rôle en matière de santé publique. »
La panique
« L'effet d'annonce a été terriblement sous-évalué dans son impact », confirme le Dr Gérard Blanchet, lui-même secrétaire de MG-France pour le département. « Dès le premier vendredi, c'était une pagaille monstre », observe ce praticien installé à Blanzat, dans la banlieue résidentielle de Clermont-Ferrand. Les questions posées par les patients étaient nombreuses et roulaient sur les sujets les plus variés : pourquoi a-t-on choisi un vaccin anglais de préférence au vaccin de l'Institut Pasteur ? N'y a-t-il pas un risque de transmission de la vache folle ? Où en est-on exactement de l'épidémie ? Ma commune fait-elle partie de la zone où la vaccination est conseillée ? Un de mes enfants est scolarisé dans la zone où la vaccination est conseillée, les autres, qui sont à l'extérieur de cette zone, doivent-ils être également vaccinés ? Y a-t-il un risque vaccinal pour les femmes enceintes ? Et pour un enfant qui relève d'une rougeole ? Et celui qui a reçu le BTPolio la semaine dernière ? Autant de questions parmi d'autres pour lesquelles rien, aucune information n'a été donnée, au début, au corps médical.
« On ne peut imaginer pire situation pour un médecin, se désole le Dr Blanchet : confronté à l'angoisse et à la panique d'un patient, l'impuissance totale. On ne sait pas. On n'a rien à dire en dehors de ce qui est paru dans "la Montagne" » (le quotidien régional).
Depuis vendredi, le téléphone sonne continuellement. Jusqu'à une centaine d'appels par jour chez le Dr Blanchet, qui exerce en cabinet de groupe avec deux confrères. Tous les généralistes du département sont logés à la même enseigne : panique du patient, impuissance du praticien sur fond de sonnerie téléphonique non-stop.
Même phénomène chez la douzaine de pédiatres qui exercent dans la capitale auvergnate. « Les patients s'inquiètent beaucoup des contre-indications et nous demandent des précisions sur Meningitec »(le vaccin des laboratoires britanniques Wyeth-Lederlé qui a obtenu son AMM le jour-même de la décision de lancer la campagne), témoigne le Dr Frédérique Mestre, qui reçoit une trentaine d'appels par jour. « Sans être forcément paniqués, les gens veulent savoir s'il y a un risque d'épidémie, note le Dr Brigitte Bourbonnais, et ils s'inquiètent des risques liés aux pathologies saisonnières. »
« Beaucoup de patients préféreraient que je vaccine moi-même leurs enfants, à l'occasion des visites régulières ou de consultations liées à d'autres problèmes, et ils veulent savoir comment se procurer le vaccin, si c'est possible », rapporte de son côté le Dr Marie-Annick Miossec-Brotte.
Tous ces spécialistes, à l'instar de leurs confrères généralistes, sont également démunis d'éléments de réponses et crient au scandale. La pression monte quatre jours durant parmi des médecins de plus en plus excédés, qui se jettent tous les matins sur « la Montagne » pour tenter d'y puiser matière à quelques réponses.
Les explications de Kouchner
Mardi dernier, Bernard Kouchner va tenter de mettre du baume au cur des confrères auvergnats et il obtiendra l'effet contraire : « Depuis ce matin, déclare le ministre en tentant d'impliquer les confrères dans la campagne, les médecins libéraux peuvent, et gratuitement, se procurer le vaccin, qui était très nouveau en France il y a huit jours, dans toutes les pharmacies de la région, pour répondre aux demandes des familles qui souhaiteraient que leurs enfants de 2 mois à 20 ans soient vaccinés par un libéral.» Et le ministre de fournir quelques précisions sur l'absence d'information à destination du corps médical : dès que la décision a été prise avec les experts, « il fallait en faire part à la population, explique-t-il, ce qui fut fait par l'intermédiaire du préfet, de la DDASS et de l'hôpital de Clermont-Ferrand (...) Les médecins peuvent quand même se renseigner par l'intermédiaire des médias nationaux et locaux. Ils peuvent consulter le site Internet du ministère qui a été mis en charge, parce que l'électricité, ça existe. »
La formule n'est pas exactement de nature à apaiser les esprits. Entre les médecins et le ministre, le courant ne passe pas, ne passe plus. Et contrairement aux affirmations ministérielles, les officines n'ont nullement été fournies en vaccins mercredi, et elles ne le seront toujours pas à la fin de la semaine. « Chaque médecin a reçu une lettre que j'ai signée », assure enfin Bernard Kouchner, qui présume en la circonstance des performances de La Poste : signé dès lundi, son courrier ne sera effectivement routé à ses destinataires que le jeudi et le vendredi suivants.
600 fantassins sacrifiés
La machine est allée vite pour lancer la procédure vaccinale. Elle est à l'évidence beaucoup plus lourde à mettre en branle pour communiquer avec le généraliste. « Dans sa guerre contre le risque épidémique de méningite, le général Kouchner a délibérément sacrifié les 600 fantassins que nous sommes dans le département », lance le Dr Blanchet.
Délibérément ? Le Dr Monique Mora, médecin-inspecteur de santé publique à la direction départementale de l'Action sanitaire et sociale (DDASS), ne peut pas accepter l'adverbe. Avec ses deux consurs, cette ancienne anesthésiste-réanimatrice au CHU de Clermont-Ferrand, qui travaille à la DDASS depuis vingt ans, enchaîne depuis la rentrée les réunions et les conférences téléphoniques avec toutes les instances mobilisées sur le front de la méningite, en Auvergne comme à Paris : Centre national de référence (à l'Institut Pasteur), direction générale de la Santé, Institut de veille sanitaire (InVS), comité technique vaccinal, chefs de service (pédiatrie, infectiologie) au CHU de Clermont-Ferrand, rectorat, PMI, etc. Même le jour de Noël, elle était sur le pont. « Dès le week-end suivant la décision de vacciner, nous avons élaboré un dossier très complet pour répondre aux généralistes, explique-t-elle. Nous y avons joint une fiche d'information sur la campagne, l'avis du comité technique des vaccinations, l'AMM de Méningitec, émanant de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, une carte de la zone ciblée dans le département, la lettre de Bernard Kouchner et dix bons de retrait du vaccin en pharmacie pour les personnes non prises en charge par une collectivité ou ayant opté pour une vaccination par un généraliste. Mais nous n'avions pas le droit d'acheminer ces éléments sans qu'ils aient reçu une validation de Paris. Celle-ci nous est parvenue par télécopie le mardi. Et comme les médecins ne disposent pas de système d'alerte d'urgence, le routage a été effectué par La Poste, avec une première moitié partie mercredi et une seconde jeudi. »
Les médecins-inspecteurs, réunies dans la salle où elles ont installé leur cellule de crise, au quatrième étage de la DDASS, ne cachent pas qu'elles sont proches de craquer nerveusement. « Comment pouvions-nous faire mieux et plus vite ? , s'exclament-elles en chur. Les libéraux accusent les pouvoirs publics d'avoir voulu faire un coup médiatique sur le principe de précaution, alors que tout ce qui nous importe c'est, dans l'urgence, de réussir à donner une bonne protection individuelle aux populations les plus exposées au risque, de réduire l'incidence des méningites ainsi que le portage. Nous ne sommes quand même pas les tuteurs des médecins libéraux ! C'est vrai que s'ils étaient tous reliés à Internet, la communication circulerait plus vite. »
300 généralistes réunis
Toujours est-il que, branchés ou non sur la toile, les praticiens auvergnats ont fini par décider de prendre eux-mêmes le taureau par les cornes. Le mardi 15, MG-63 et MG-Form Auvergne adressent un communiqué à « la Montagne » pour annoncer qu'ils organisent le lendemain soir « une réunion d'information sur la méningite C et sur la campagne de vaccination mise en place (...) Que chaque médecin généraliste qui prend connaissance de cette information la transmette très rapidement aux confrères de son secteur de telle sorte qu'un maximum soit prévenu. »
La réponse des généralistes ira bien au-delà des sympathies syndicales : près de 300 confrères s'entassent dans la salle du Sémaphore à Cébazat, non loin du CHU, pour entendre les responsables de la DDASS, de la Sécurité sociale, de la préfecture et les spécialistes du CHU. « La moitié des praticiens du département a répondu à l'appel, se félicite le Dr Blanchet. Les officiels n'en croyaient pas leurs yeux ! Preuve était faite du formidable besoin d'informations ressenti par les professionnels de santé. La réunion s'est conclue tard dans la soirée, sans qu'aucune question reliée à l'actualité des négociations sur le C ne soit même posée. Et en ressortant, nous tenions enfin notre information ! »
Pour les organisateurs, ce succès signe l'échec des autorités de santé publique. « Les syndicats ont dû se substituer à l'administration. C'était à elle d'organiser une telle réunion dès le lendemain de l'annonce de la vaccination, estime le Dr Roussel. Au lieu de quoi, on nous a laissés sans repère, sans référence de santé publique et nous nous sommes sentis oubliés. »
« C'est incontestable, juge aussi le Dr Jean-Paul Bacquet, député socialiste du département : il y a eu une souffrance au niveau de l'information des professionnels de santé qui se sont sentis exclus. Ils ne demandaient pas à être des acteurs, mais ils voulaient au moins être capables de calmer l'angoisse de leurs patients ».
Le lendemain de la réunion, un Chronopost de Bernard Kouchner était livré au cabinet des Drs Roussel et Méry. « Les médecins libéraux n'ont jamais été oubliés contrairement à ce que vous feignez de croire, assure le ministre délégué. En effet, dans la note que j'ai adressée aux familles, il est précisé qu'elles peuvent faire vacciner leurs enfants par les médecins de leurs choix. Parallèlement, j'ai écrit à l'ensemble des médecins pour les informer de ce plan de vaccination en les remerciant de leur concours. Sans doute ces courriers ne sont-ils pas encore parvenus à leurs destinataires, admet Bernard Kouchner , en déplorant que « malheureusement il n'est pas encore possible de toucher sans délai les praticiens par Internet ».
Des courriers pas très rapides
L'opération constituait une première en France. Le Puy-de-Dôme, logiquement, aura essuyé les plâtres sanitaires. « La polémique est derrière nous, notre cas doit maintenant faire école », estime le Dr Roussel. Après cinq jours d'incompréhension et de colère, le calme est revenu chez les libéraux. Malgré l'amertume, certains n'hésitent pas à proposer de « faire la grève intelligemment », à l'occasion de la « Journée sans toubib » du 23 janvier, en prêtant main forte, ce jour-là, aux 60 médecins vaccinateurs (médecins scolaires, militaires ou de PMI) mobilisés dans le département. Sans rancune, « les pivots du système de santé ».
Le Numéro Vert submergé
Le Numéro Vert national (0800.156.156), mis en place le 14 janvier pour renseigner en principe les seuls habitants du Puy-de-Dôme, a été littéralement pris d'assaut par des appels en provenance de toute la France. Pendant trois jours, jusqu'à 85 000 appels ont été enregistrés, soit une cadence de 5 000 appels par heure, entre 9 et 19 heures. « Du coup, raconte le Dr Dominique Escourolle, coordinateur du service dans le cadre d'Ecoute Santé, nous avons été injoignables. Notre effectif, composé d'une dizaine de médecins ne peut faire face qu'à 200 appels par heure. Il aurait fallu mobiliser une centaine de professionnels pour pouvoir répondre à une telle déferlante d'appels. »
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