C’EST PIERRE MAZEAUD, le président du Conseil constitutionnel, qui semble avoir trouvé la solution, même si Jean-Louis Debré s’enorgueillit d’y être parvenu après de multiples consultations engagées depuis le 9 décembre et qu’il a consignées dans un rapport remis le 25 janvier au chef de l’Etat : l’article 37, alinéa 2 de la Constitution permet au président de modifier une loi si le Conseil constitutionnel déclare que la mesure qui pose problème relève du domaine réglementaire et non législatif. Il suffira donc d’un décret pour effacer un texte qui a soulevé des polémiques passionnées.
Un très large consensus.
Cette décision de Jacques Chirac est probablement celle qui aura aussitôt réuni le consensus le plus large : les élus des DOM-TOM, qui étaient indignés, la gauche en colère, une majorité de citoyens hostile à un texte adopté à l’insu de tous (et même des parlementaires de gauche, qui l’ont voté), les Algériens qui tempêtaient chez eux, à peu près tout le monde félicite le président pour son initiative, qu’il a prise en soulignant son désir d’apaiser la société française.
Le principe retenu, qui fonde l’intervention personnelle du président, est celui que les historiens ont mis en avant : ce n’est pas au législateur d’écrire l’histoire, pour la bonne raison qu’il y a plusieurs vérités historiques et qu’il n’est pas bon d’en imposer une seule.
Mais, comme, en France, on ne fait jamais les choses simplement, la mission que M. Chirac a confiée à M. Debré était doublée d’une mission dont Nicolas Sarkozy, en tant que président de l’UMP, avait chargé l’avocat Arno Klarsfeld. Lequel à son tour a publié un rapport moins de deux jours après celui du président de l’Assemblée et dans lequel il se prononce sur le fond, puisqu’il défend le droit du Parlement d’adopter des lois mémorielles.
Là où Jean-Louis Debré donne à M. Chirac les outils pour en finir avec la polémique, Arno Klarsfeld énonce une vérité : le Parlement a effectivement adopté des lois d’intérêt historique, par exemple quand il a reconnu le génocide commis par les Turcs contre les Arméniens, et surtout quand il a interdit le révisionnisme ou le négationnisme qui bafouent la Shoah et insultent ses victimes.
Faut-il admettre qu’il y a des lois d’intérêt historique politiquement correctes et d’autres qui ne le sont pas ? Ne nous laissons pas enfermer dans ce débat purement formel. Beaucoup de nos concitoyens continuent à penser sans réserves que la colonisation a eu des aspects positifs. Les témoignages sur la scolarisation, sur la lutte contre les maladies, sur le développement administratif et infrastructurel sont innombrables. Les élus qui ont inséré le contenu de l’article 4 dans la loi du 23 février 2005 pensaient essentiellement à l’Algérie, au rôle qu’y ont joué nos médecins, nos administrateurs, nos religieux, nos enseignants. Un rôle indéniable. Ils ont pensé aux pieds-noirs, aux harkis et à tous ceux qui ont cru à l’influence du pays des Lumières ou ont fait de la France leur patrie.
Génie français.
Tout cela est bel et bon et il n’est pas question d’y revenir. Il nous semble cependant impossible d’accoler les mots « colonisation » et « positif » dans la même phrase. Ce n’est pas le génie français que nous devons remettre en cause : il a fait merveille ; c’est le sens même de la conquête coloniale. Comment croire un seul instant que la France de l’époque s’est crue investie d’une mission pour aller répandre ses valeurs dans des peuplades incultes ? Des élus l’ont alors affirmé, mais tout le monde sait bien que la compétition entre les grandes puissances maritimes au XIXe siècle les ont conduites à étendre leur territoire au-delà des mers. L’intérêt des Français expatriés pour les peuples d’Afrique ou des Antilles a été plus grand que la générosité de nos gouvernements d’alors. Certes, l’esclavage a été l’épisode le plus douloureux et le plus indigne de l’aventure coloniale, mais s’y sont ajoutées l’exploitation de terres vierges au profit de la puissance conquérante, les colonies de peuplement qui évinçaient les autochtones de leur milieu, et, au fond, l’incapacité d’amener les colonisés au niveau économique, social et culturel des colonisateurs. L’échec de la colonisation a été si grave que la décolonisation s’en est suivie, avec son cortège de deuils et de souffrances.
Cela n’enlève rien à l’immense vertu des Français dévoués qui ont soigné et éduqué des Noirs ou des Maghrébins, parfois avec un tel succès qu’ils en ont fait de très brillantes personnalités. Mais le bilan général de la colonisation est sombre. Il faut rendre cette élémentaire justice aux descendants des colonisés, comme on a rendu justice aux Juifs.
La décision du chef de l’Etat a l’avantage de ne pas examiner le fond de la question ; elle se borne à supprimer un texte pour ramener le calme. Et c’est pourquoi on ne peut que l’approuver. Maintenant, on peut parler de l’époque coloniale plus sereinement.
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