L A curiosité scientifique c'est, entre autres, remettre en cause ce qui paraît évident, bien établi. C'est ainsi que D. Hugh Rushton et coll. (Portsmouth), dans le dernier « British Medical Journal », se sont inquiétés d'une différence universellement reconnue entre hommes et femmes. Est-il acceptable que ces dernières aient un nombre d'hématies, une hémoglobine et ferritine sérique plus bas que leurs compagnons ? Oui, répondait-on jusqu'à présent, puisque les femmes perdent chaque mois du fer au cours de leurs règles. Rigueur scientifique oblige, les chercheurs britanniques se sont alors dit qu'un tel phénomène devrait se retrouver chez les grands singes, dont les femelles, à l'instar des humaines, connaissent un cycle menstruel. Il n'en est rien.
Ce premier élément de comparaison acquis, il apparaîtrait que la limite inférieure de l'hémoglobine chez les femmes devrait être de 13 g/dl, comme chez l'homme, et non pas de 11,5 g/dl.
Mais sur quels arguments, autres que phylogéniques, les auteurs peuvent-ils suggérer une modification des normes chez les femmes ?
En premier lieu, ils rappellent que les différences sur les constantes liées au fer n'apparaissent chez les jeunes femmes qu'après la puberté et qu'elles s'amendent une dizaine d'années après la ménopause. Ils y voient la conséquence d'une « histoire de la reproduction » chez les femmes d'aujourd'hui différente de celle de leurs aînées : maturité sexuelle plus précoce, moins de grossesses, allaitements raccourcis. Autant d'éléments augmentant le nombre de saignements menstruels au cours d'une vie. Il faut ajouter à cela que la carence martiale est la carence la plus répandue sur terre. A titre d'exemple, 90 % des femmes britanniques en âge de procréer n'ont pas les apports journaliers recommandés en fer (14,8 mg).
La synthèse de l'hémoglobine
Ensuite, les chercheurs abordent la synthèse de l'hémoglobine. Elle est en grande partie réalisée dans les mitochondries. Il n'existe aucune différence connue, qualitative ou quantitative, entre hommes et femmes, sur la capacité de ces organites à accomplir leur fonction.
Peut-être faut-il chercher du côté hormonal ? Chez des hommes et des femmes à ferritinémie similaire, il n'existe pas de différence dans les taux d'érythropoïétine. La thyroxine, aussi, n'est pas modifiée par le sexe. Les auteurs constatent que de tous les paramètres impliqués dans la synthèse de l'hème, seul le fer est sujet à des variations homme-femme.
Il semble donc que les normales du nombre d'hématies, de l'hémoglobine et de la ferritine, chez la femme, aient été établies, à partir d'échantillons de populations en carence martiale. Les Britanniques supputent qu'un grand nombre de femmes passent une partie de leur vie avec une balance en fer négative. Aggravée par une spécificité britannique, la consommation habituelle de substances réduisant l'absorption du fer : laitages, céréales et tannins (thé).
Cette carence généralisée en fer peut être tenue pour responsable de syndromes d'irritabilité et d'hyperactivité chez des enfants (augmentation par réaction des catécholamines et retour à la normale sous traitement martial) ; de baisses du QI chez des adolescentes (en tout cas aux Etats-Unis et au Royaume-uni) ; d'anomalies de la réponse immune (altération de la fonction de neutrophiles et de la prolifération des lymphocytes T). S'y ajoutent une baisse des capacités de travail, une moins bonne thermorégulation, une perte diffuse des cheveux chez les femmes.
Surtout, les auteurs s'inquiètent des conséquences cérébrales. Le stock de fer s'y fait lentement au cours de la vie. A la naissance, 10 % de ce stock est présent, il atteint 50 % à 10 ans pour se compléter à 20 ans. Dès lors, on peut penser que nombre de jeunes femmes entrent dans la vie adulte avec un déficit cérébral en fer.
En conclusion, les chercheurs proposent de reconsidérer les critères usuels. En suivant les normes masculines, l'anémie, dont déjà un demi milliard de personnes vivent les conséquences néfastes, serait davantage reconnue. Avec des implications positives sur la santé et le bien-être des femmes.
« British Medical Journal », vol. 322, 2 juin 2001, pp. 1355-1357.
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