MALGRÉ le filtre du téléphone, on saisit le tremblement dans la voix du Dr Solange Bertaina au souvenir de son « interrogatoire » par l’assurance-maladie de Haute-Garonne. Ce médecin généraliste est installée depuis 1999 à Pibrac, petite ville de 10 000 habitants à deux pas de Toulouse, dans un cabinet libéral qu’elle partage avec trois confrères. Au trombinoscope des médecins de famille, le Dr Bertaina, 45 ans, fait office de jeunette. Sa carrière est devant elle. Était. La généraliste a repris ses études pour devenir ostéopathe. « La caisse m’a dégoûtée », explique-t-elle.
Les faits remontent au printemps 2007. « Après mes deux grossesses, j’ai dû prendre quatre mois d’arrêt maladie pour me faire opérer », se rappelle le médecin. Elle laisse son cabinet entre les mains de deux remplaçantes jusqu’à la fin de l’été. Un de ses patients sonne l’alerte. « La Sécu était venue à son domicile pour lui poser un tas de questions sur moi, explique le Dr Bertaina. Ce monsieur a subi un interrogatoire en règle. Et moi, j’ai compris qu’ils étaient en train de fouiner sur mon activité ».
Abasourdie.
Rapidement, le médecin reçoit un coup de fil de la caisse de Toulouse, qui veut la rencontrer. « J’y suis allée, à six d’hémoglobine et en marchant à grand-peine ». C’était un lundi après-midi, précise-t-elle. « De 13H30 à 17 heures, ils m’ont interrogée. Comme des gendarmes. Non, pire ».
La caisse réclame à la généraliste des sommes conséquentes pour avoir prêté sa carte de professionnel de santé (CPS) à ses remplaçantes (30 465,60 euros) mais aussi pour avoir facturé des actes après le décès d’une patiente (62 euros) et pour avoir déclaré une visite de nuit imaginaire (342,65 euros). En tout 33 957,28 euros, majoration de 10 % incluse (délais).
La généraliste semble abasourdie. « Bien sûr que j’ai laissé ma carte aux "filles", la CPS-remplaçant n’existait pas à l’époque et on se faisait rappeler à l’ordre dès qu’on utilisait les feuilles de soin papier », explique-t-elle. « On me traite comme une criminelle, alors que l’argent qu’on me réclame est celui d’actes qui ont bien été réalisés ! ».
Sur les deux autres plaintes, la généraliste évoque une erreur de saisie entre le nom de la défunte et celui de son mari auquel elle avait rendu visite, et un conflit de personne. « J’ai bien effectué cette visite de nuit même si la patiente atteste que non, argumente le Dr Bertaina. Surtout, je m’entends mal avec sa fille, une assistante sociale de la caisse de Toulouse ».
Après un passage au Tribunal des affaires de Sécurité sociale de Toulouse et le rejet de son recours en appel, le Dr Bertaina va mener l’affaire devant la Cour de cassation. En parallèle, et avec le soutien de la Fédération des médecins de France (FMF), son avocat, Maître Fabrice Di Vizio, veut engager une action en justice contre la CNAM. « Nous allons laisser une fenêtre de tir de deux mois au directeur Frédéric van Roekeghem pour qu’il prenne ses responsabilités, explique l’avocat. Au-delà, l’affaire se réglera devant le tribunal administratif. On verra si la Sécu apprécie qu’on étale ses manquements sur la place publique ».
Contactée par « Le Quotidien », la caisse de Haute-Garonne a indiqué ne pas être en mesure de « commenter une affaire encore en cours ».
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