«INSANITÉ», «usine à gaz», «mesure floue et dérisoire», «miroir aux alouettes»... : dans la bouche de ses détracteurs, les noms (d'oiseaux) ne manquent pas pour qualifier la nouvelle part complémentaire variable du salaire des chirurgiens hospitaliers instituée par arrêté le 28 mars (« le Quotidien » du 2 avril). De source syndicale, la journée de grève des soins non urgents organisée contre cette mesure vendredi dernier dans les hôpitaux à l'initiative d'abord des anesthésistes et des urgentistes – Snphar, Smarnu et Amuf (1) – puis de deux grosses intersyndicales de praticiens hospitaliers – Inph et CPH (2) – a été extrêmement suivie. Les anesthésistes avançaient une estimation de 90 à 95 % de médecins assignés dans les blocs ; les urgentistes évoquaient pour leur part un taux record de 95 % de grévistes, 100 % localement (à Manosque, Lille, Calais...).
Haro, donc, sur ce nouveau bonus salarial accordé in extremis par l'actuel gouvernement aux chirurgiens seuls dans un premier temps et dont le bénéfice devrait être par la suite étendu aux autres spécialités hospitalières. Voici, schématiquement, le portrait de cette « bombe » : la part variable (au maximum 15 % du salaire) sera touchée par les chirurgiens volontaires pour peu qu'ils aient respecté des objectifs qualitatifs et quantitatifs fixés par contrat avec le directeur de leur hôpital et leur chef de pôle. Pourquoi déplaît-elle donc tant à ses opposants ? Revue de détail.
«La fin de l'esprit d'équipe».
La part variable ne correspond pas à la culture de l'hôpital. C'est ce que disent en substance ses détracteurs. «Elle nous fait basculer dans le chacun pour soi, regrette le Dr Rachel Bocher, présidente de l'Inph, elle signe la fin de l'esprit d'équipe à l'hôpital.»
«Un cadeau» aux chirurgiens».
Nombreux sont ceux qui pensent que la part variable n'est rien d'autre qu'une augmentation déguisée des chirurgiens (pour l'instant). Pourquoi eux, spécialistes de l'hôpital qui ont le plus volontiers un secteur privé et donc des revenus supplémentaires ? Les autres spécialistes s'interrogent... et certains n'hésitent pas à accuser : «C'est un cadeau, un remerciement à un lobby de quelques chirurgiens influents», estime Rachel Bocher.
Président du Snphar, le Dr Michel Dru met le doigt sur une injustice induite par le dispositif : «La lutte contre les infections nosocomiales est un des critères d'attribution de la part variable aux chirurgiens. Mais un chirurgien peut bien lutter autant qu'il veut contre les infections nosocomiales, il n'arrivera à rien si l'anesthésiste ne prescrit pas le bon antibiotique, si la femme de ménage n'a pas nettoyé correctement le sol de la chambre du malade...» Pour le Dr Dru, c'est simple, la part variable est en ce sens une «insulte» aux chirurgiens, aux autres spécialistes, aux personnels, aux malades : «On ne l'a pas attendue pour faire de la qualité à l'hôpital», s'indigne-t-il. Chirurgien, président du syndicat des PH de CHU (Snphchu), le Dr Jean-Michel Badet s'interroge : «Sommes-nous mauvais? Sommes-nous fainéants? Car c'est bien cela que l'on peut comprendre avec l'instauration de la part variable. Etait-il nécessaire de donner une carotte supplémentaire pour des choses qui marchaient plutôt bien à l'hôpital?»
«Une mesure qui ne répond pas à son but».
La part complémentaire variable est présentée par le législateur comme le moyen de rendre plus attractive les carrières médicales hospitalières que 80 % des jeunes médecins ne choisissent plus, leur préférant l'exercice libéral. Pourquoi, alors, commencer par les chirurgiens, s'étonne le Dr Jean Garric, anesthésiste et secrétaire général de l'Inph ? Il rappelle qu'il existe déjà à l'hôpital des postes dits « à recrutement prioritaire » (auxquels sont liés un certain nombre d'avantages). Or les chirurgiens ne sont pas les plus mal lotis dans ce cadre : «43% des postes de radiologues sont étiquetés prioritaires, 35% de ceux d'anesthésie-réanimation et 25% de ceux de psychiatrie», détaille le Dr Garric.
Pour les grévistes de vendredi, la part variable rate surtout sa cible parce qu'elle se trompe de réponse aux attentes des hospitaliers. «Avant, se souvient le Dr Badet (Snphchu), on avait à l'hôpital le top de l'exercice médical au détriment des sous et, en clinique privée, on avait les sous, mais on faisait du stakhanovisme. C'est bien fini.» A l'en croire, ce n'est pas pour 15 % de salaire en plus que les jeunes médecins vont choisir l'hôpital public car ce qui leur importe, ce sont les «conditions de travail» : «La sécurité, les conditions matérielles d'exercice, la question d'avoir un appareil de navigation permanent... voilà ce que nous voulons», explique le chirurgien.
«Une mise en oeuvre compliquée, voire absurde».
Par ailleurs, le montage de la part variable ne séduit guère. «Le mot “usine à gaz«n'est même pas à la hauteur de la complexité du système. C'est incompréhensible», s'amuse presque le Dr Patrick Pelloux, président de l'Amuf. «Comment les choses vont-elles se passer, poursuit-il ? Dans le même bloc, il va y avoir des médecins susceptibles d'avoir une prime de 15%, d'autres non; il va y avoir aussi des infirmières, des aides-soignantes dont le salaire, depuis des années, n'augmente pas aussi vite que l'inflation. On veut faire exploser l'hôpital?» Autre cas d'école, présenté par Jean-Michel Badet (Snphchu) : «Imaginons un service où un médecin est à la part variable, un autre a une activité libérale. Comment fait-on? Le premier va-t-il se bagarrer avec le second pour lui piquer son bloc et atteindre ses objectifs d'activité?»
«Un outil de restructuration».
«Le statut de PH était très intéressant parce qu'il déconnectait les médecins de la nécessité de produire des soins. La part variable met fin à cela», s'inquiète le Dr Pelloux (Amuf). Les praticiens s'alarment en outre de la dimension restructurante de la part variable, liée pour partie au volume d'activité des médecins. Les chirurgiens exerçant dans les hôpitaux et réalisant moins de 2 000 interventions par an ne peuvent pas y prétendre, par exemple. «Comment, dans ces conditions, les petits hôpitaux vont-ils pouvoir recruter?, se demande Jean Garric (Inph), qui poursuit : On va faire porter aux PH la responsabilité de cette mauvaise politique de restructuration!» La durée de séjour des patients est un autre critère d'attribution du nouveau bonus : «Elle doit être inférieure à la moyenne nationale, souligne le Dr Garric. Cela signifie qu'elle incite à garder les malades moins longtemps à l'hôpital. »
(1) Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs, Syndicat national des médecins anesthésistes-réanimateurs des hôpitaux non universitaires et Association des médecins urgentistes de France.
(2) Intersyndicat national des praticiens hospitaliers et Confédération des praticiens des hôpitaux.
La bombe à retardement du compte épargne-temps
Avant de dépenser 50 millions d'euros pour financer la nouvelle part variable, les pouvoirs publics seraient bien inspirés, estiment un certain nombre d'organisations, de se pencher sur la «bombe à retardement» que représentent les comptes épargne-temps (CET) des PH. Institués dans le cadre des 35 heures, ces CET sont alimentés par les praticiens qui travaillent au-delà de leur temps de travail réglementaire.
Ils peuvent être soldés en cours ou en fin de carrière et représentent, au bout du compte, autant de temps médical en moins pour les hôpitaux. «La mèche de la bombe est allumée, et elle se consume, prévient le Dr Jean-Michel Badet, président du Syndicat national des PH de CHU (Snphchu), car les praticiens vont commencer à manger des jours en 2012».
Dans son hôpital – le CHU de Besançon –, le Dr Badet estime que les CET, s'ils étaient soldés aujourd'hui d'un seul coup, représentent déjà 10 % du temps médical total de l'établissement.
Les CET posent, en outre, problème en cas de décès de leurs titulaires. «Quand leurs ayants droit en réclament le solde, les hôpitaux refusent», signale le Dr Patrick Pelloux, président de l'Amuf (Association des médecins urgentistes de France).
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