AVEC EMMANUELLE Heidsieck, il ne faut pas se fier aux titres. Dans « Notre aimable clientèle », elle brocardait le fonctionnement bureaucratique de l'ANPE et montrait les dérives du service public vers le service au « client ». Dans « Il risque de pleuvoir » (1) elle tire la sonnette d'alarme avec encore plus de vigueur... sous couvert d'un flegme on ne peut plus guindé.
Le récit dure le temps d'un enterrement, un peu longuet bien sûr car, dans la néobourgeoisie des affaires parisiennes, on se doit de ne négliger aucune convention mondaine. On est là entre soi, entre gens de bonne compagnie, des compagnies d'assurances. Emmanuelle Heidsieck décrit avec un art d'entomologiste les manières d'être et d'apparaître de cette assemblée compassée – et qui masque des brutes prêtes à s'entretuer pour décrocher les postes à responsabilité et l'argent qui va avec.
Tout en effectuant les gestes imposés par la cérémonie, le narrateur divague. Lui qui est parvenu à un joli poste de dirigeant chez AVF sait que les vraies funérailles à l'ordre du jour sont celles de la Sécurité sociale ; et que le maître d'oeuvre de l'opération de privatisation est le P.-DG de Ganax, qui est aussi le mari de son ex-femme, le beau-père de ses deux enfants.
En observant, autour de lui, le gotha de la profession et connaissant la contribution de chacun au projet, il recompose la suite des manoeuvres assassines qui, via le contrôle des « données de santé », permettent aux grands groupes d'imposer un système de santé individualisé à l'extrême et conduisent à terme à privatiser la Sécu.
Révolté, notre anti-héros ? Seulement fatigué ; au moment de l' ite missa est, il n'a toujours pas répondu à la question qui l'aura taraudé durant toute la cérémonie : doit-il ou non se rendre à la réception organisée par son rival heureux en amour et en affaires ?
Le temps des nanorobots.
Le héros du « Tournevis infiniment petit » (2) se révèle à l'inverse très expéditif, trop. Laurent Bénégui cherche beaucoup moins que sa consoeur – qui fut pendant longtemps journaliste sociale – à faire passer une thèse.
Dans son septième roman – qui reprend le ton du « Jour où j'ai voté pour Chirac » et un peu de la complexité du récit de « Je ne veux pas être là... » – il adopte délibérément le parti de la drôlerie et des péripéties à la chaîne.
Avec toujours ses obsessions pour la chose scientifique, puisque cette fois Laurent Bénégui est un chercheur en nanobiologie. Que l'idée de quitter ce bas-monde n'embête pas plus que cela, lorsqu'il apprend qu'il a un cancer. Simplement, avant de se supprimer, il tient à accomplir un baroud d'honneur en quittant sa femme avec qui il a plus d'affinités sexuelles que sentimentales, et en séduisant par la même occasion sa jolie collègue de travail, en disant leur quatre vérités à son adolescente de fille qui ne dialogue qu'avec son clavier d'ordinateur, et à son fils auquel il reproche son ultraconformisme, et en soustrayant des mains de son patron sa dernière et fondamentale découverte.
Laurent a été engagé – pour le compte de fonds d'investissements américains qui tablent sur la privatisation des assurances santé en train de se faire – afin d'inventer les nano-outils permettant de visser une puce électronique – qui sera destinée à dépister un cancer à ses débuts – sur une molécule de synthèse qui sera injectée comme n'importe quel vaccin. Ébloui par l'idée de mettre au point l'outil qui permet de dépister un cancer avant qu'il n'ait produit d'effets désastreux, et surtout par la perspective de crédits illimités, il a, au bout de sept années, relevé le pari. Et fini par comprendre que personne ne dépense autant d'argent pour sauver les gens du cancer.
D'où son acte, qui devait être ultime, d'avaler la fiole où les nanorobots barbotent dans de l'huile de paraffine et les millions de dollars investis qu'ils représentent.
Le problème est qu'après avoir consciencieusement démoli sa vie familiale et professionnelle, Laurent apprend qu'il n'est pas malade... S'ensuit une folle journée où le bienheureux malheureux va être plongé dans une succession de situations improbables...
(1) Editions du Seuil, 125 p., 15 euros.
(2) Editions Julliard, 299 p., 19 euros.
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