L'ARTICLE de loi ne fait que quelques lignes mais il pourrait avoir de lourdes conséquences pour les assurés qui consulteront un spécialiste en dehors des parcours de soins définis (protocole ALD, passage par le médecin traitant, séquences de soins, accès spécifique aux gynécos, ophtalmos...). Dès 2006, un patient couvert par un contrat complémentaire dit « responsable », label indispensable pour que ce contrat bénéficie des aides publiques (1), devra en effet payer partiellement ou intégralement le montant du dépassement d'honoraires appliqué par un spécialiste consulté librement. Adopté discrètement fin décembre dans le cadre de la loi de Finances rectificative pour 2004, c'est un amendement du sénateur UMP Dominique Leclerc (soutenu par le gouvernement) qui définit ce nouveau critère applicable aux contrats « responsables » institués par la réforme, et qui entreront en vigueur au 1er janvier 2006.
Dans ce cas de figure, l'article prévoit l' « exclusion totale ou partielle de la prise en charge des dépassements d'honoraires » des spécialistes consultés en accès libre. En clair, si une mutuelle veut prendre en charge 100 % du montant du dépassement, elle ne pourra prétendre aux aides publiques. Très dissuasif. Paradoxe : cette règle, selon plusieurs experts, ne semble concerner que les dépassements des spécialistes du secteur I et pourrait donc encourager la clientèle aisée... à consulter des spécialistes en secteur II pour bénéficier d'un remboursement intégral. Un comble pour les patients et une nouvelle inégalité de traitement entre secteur I et secteur II, qui fait bondir la Csmf. « Le législateur n'a pas mesuré les conséquences de cet article très mal rédigé, mais Xavier Bertrand (le secrétaire d'Etat à l'Assurance-maladie) va intervenir pour clarifier la situation et répondre à nos inquiétudes », affirme le Dr Jean-François Rey, président de l'Umespe (spécialistes de la Csmf).
En encadrant les contrats aidés, le gouvernement affirme vouloir encourager le recours des patients aux soins coordonnés. Et la maîtrise médicalisée. Déjà, la réforme de l'assurance-maladie avait fixé quelques règles pour les contrats responsables : non-prise en charge du forfait de un euro par consultation ; exclusion totale ou partielle du remboursement des majorations de ticket modérateur en cas de non-passage par le médecin traitant et en cas de refus de présenter son dossier médical (au 1er juillet 2007).
Le marché concurrentiel de la complémentaire santé.
En attendant le cahier des charges définitif des contrats responsables (une réunion avec les complémentaires est prévue fin janvier avant la parution du décret), bien malin qui peut prévoir la stratégie des mutuelles, des assurances privées et des institutions de prévoyance. Verra-t-on les opérateurs, en situation de concurrence sur le remboursement des dépassements, se livrer à une surenchère ? Dans certains cas, on peut le supposer. Car il y a des parts de marché à défendre, notamment pour certaines mutuelles interprofessionnelles. Comment réagiront-elles, par exemple, face à des offensives commerciales d'assureurs qui proposeraient une couverture intégrale des dépassements ? Déjà on explique, du côté de la Mutualité, qu'une prise en charge « partielle » peut signifier 1 % mais aussi... 99 % ! Dans la deuxième hypothèse, il n'y aurait plus grand-chose de dissuasif pour les assurés qui consultent directement un spécialiste.
Même s'il est très hostile aux dépassements, le monde mutualiste ne pourra pas agir comme un seul homme, chaque assemblée générale étant souveraine. La Mutualité, dont les mutuelles affiliées représentent environ 60 % du marché des complémentaires (contre 21 % pour les compagnies d'assurance et 19 % pour les IP - institution de prévoyance), devrait annoncer rapidement sa ligne directrice.
L'amendement Leclerc a surpris les compagnies d'assurances. « Nous sommes interloqués par ce texte, explique Gilles Johanet, directeur aux AGF et président du comité maladie de la Fédération française des sociétés d'assurances (Ffsa) . La conséquence probable, c'est un effet d'entonnoir au profit du secteur II ». Avec comme conséquence pour les assurances qui remboursent allègrement les honoraires libres : aucune lisibilité tarifaire et peu de contreparties mesurables. Les assureurs misent plutôt sur le futur secteur optionnel « avec des garanties claires ».
Les institutions de prévoyance se préparent à la nouvelle donne et la question du niveau de prise en charge des dépassements est une des plus sensibles. « Nous ne sommes pas partisans de ne rien rembourser. On se situe dans une logique de prise en charge partielle », explique-t-on prudemment au Centre technique des institutions de prévoyance (Ctip). Comme les assureurs privés, les IP ne veulent surtout pas de règles trop rigides.
Le Guen (PS) : recul de l'accès aux soins.
En tout état de cause, l'attitude des complémentaires sur ce dossier conditionnera le comportement des patients : l'accès des Français à la médecine spécialisée libérale pourrait être bouleversé. Lorsqu'il se rendra compte qu'il doit payer de sa poche dix, voire quinze euros, sur une consultation avec dépassement facturée 32 euros par un spécialiste de secteur I, un patient peu fortuné y réfléchira à deux fois. « C'est la consécration de la médecine à deux vitesses », s'indigne le Dr Claude Pigement, délégué du PS à la santé. « Le ver était dans le fruit avec les dépassements institués par la réforme : soit les mutuelles les remboursent, les cotisations explosent et c'est une pénalisation indirecte ; soit elles ne prennent pas en charge, et c'est une pénalisation directe des patients les moins aisés. » Jean-Marie Le Guen, député socialiste de Paris, dénonce pour sa part « les méthodes à la sauvette et l'absence de transparence » d'un gouvernement dont la politique va « encore aggraver l'accès aux soins ».
(1) Rappelons que seuls ces contrats responsables pourront continuer à bénéficier de l'exonération de la taxe de 7 % sur les conventions d'assurances, des exonérations de charges sociales sur les contrats collectifs et obligatoires. Le crédit d'impôt fait également partie de ces avantages.
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