Dans la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (« Journal officiel » du 18 janvier), un chapitre intitulé « Lutte contre le harcèlement moral au travail » (articles 168 à 180) définit juridiquement ce type de comportement ainsi que les sanctions qu'il entraîne. Cette notion fait ainsi son entrée dans le code du travail, le code pénal et dans les statuts de la fonction publique.
Toute référence à un lien d'autorité a été supprimée : le harcèlement moral peut être le fait de l'employeur, d'un supérieur hiérarchique ou d'un collègue. Afin d'assurer la prévention, divers acteurs voient leur champ d'intervention renforcé (délégués du personnel, CHSCT, médecin du travail...). Une obligation générale de prévention pèse par ailleurs sur l'employeur. D'autres dispositions protègent les victimes lorsque le harcèlement est avéré : une procédure de médiation est mise en place, la charge de la preuve est aménagée dans un sens favorable au demandeur en cas de contentieux, et les syndicats peuvent agir en justice à la place des victimes. S'agissant de la répression, le harcèlement fait l'objet de sanctions disciplinaires, civiles et pénales.
Le pervers narcissique
Ces problèmes relationnels et de conflits interpersonnels au travail sont connus depuis longtemps. Heinz Leyman, dans son livre de 1996, a fait la promotion du terme « mobbing » pour désigner cette situation de harcèlement. Le premier livre de Marie-France Hirigoyen, « le Harcèlement moral, la violence perverse au quotidien » (Ed. Syros, 1998), a eu un retentissement considérable dans le public et a braqué les projecteurs de l'actualité sur ce problème. Bien entendu, en tant que psychiatre-psychothérapeute, elle s'est placée complètement du côté des victimes et des patients venant chercher un réconfort et verbaliser leur plainte. Cet auteur impute toute la responsabilité à la malveillance d'un type de personnalité qu'elle appelle le « pervers narcissique », dont elle trace le portrait psychologique. Dans son deuxième ouvrage, « Malaise dans le travail, harcèlement moral, démêler le vrai du faux », paru en 2001, elle nuance cette problématique, comme le sous-titre l'indique. Une dizaine d'autres ouvrages sur ce sujet ont été publiés très récemment, dont celui des bordelais Chavron et Brouillaud, « Vaincre le harcèlement dans l'entreprise » (Edition du Puits Fleuri, n° 118, 2002 ».
Philippe Ravisy, avocat, commence son livre (« le Harcèlement moral au travail », Dalloz, 2000) en rappelant que la France détiendrait le triste record du nombre d'agressions et de harcèlements sexuels sur le lieu du travail, devant l'Argentine et le Canada : 11,2 % des hommes et 8,9 % des femmes déclaraient avoir été agressés en 1995 et 19,8 % des femmes se plaignaient d'avoir été harcelées sexuellement pendant la même période (rapport du BIT, Bureau international du travail, de la vaste enquête internationale de 1995, International Crime (Victim) Survey, dans 32 pays). Ainsi, la « violence psychologique » est une forme fréquente et grave de violence. Selon le syndicat canadien de la fonction publique, 70 % des personnes interrogées en 1994 signalaient l'existence d'agression verbale...
L'Union européenne, à partir de 15 800 entretiens, montrait que 4 % des travailleurs avaient été soumis à des violences physiques pendant l'année précédente, 2 % à un harcèlement sexuel et 8 % à des actes d'intimidation et de brimades...
Les conséquences en sont diverses, elles peuvent être délétères et même dévastatrices : atteinte sévère à l'estime de soi, à la confiance en soi, au sentiment de valeur personnelle, de bien-être, retrait social, stress chronique, symptômes anxieux et dépressifs, et même comportement suicidaire. En Suède, on estime que le harcèlement psychologique est à l'origine de 10 à 15 % des suicides.
Le harcèlement concerne au premier chef les entreprises, leur encadrement, leur organisation, leur fonctionnement et leurs modalités de recrutement. Les médecins du travail y sont confrontés de façon croissante, ainsi que les psychologues du travail. Psychiatres, psychologues, psychothérapeutes, connaissaient depuis longtemps ce type de conflit, mais ils sont actuellement mieux connus et en hausse croissante dans les plaintes des consultants. Dans les expertises psychiatriques et psychologiques, on est amené à évaluer les dommages subis. Les harceleurs eux-mêmes entreront dans le champ de la psychopathologie et des expertises médico-légales.
Il y a désormais au moins trois types de harcèlement ayant une définition légale : le harcèlement sexuel (loi de 1994), le harcèlement moral (loi de 2002) et le harcèlement du type dioxis ( stalking ou poursuite pseudo-relationnelle), défini légalement dans près d'une dizaine de pays anglo-saxons.
Le symposium de Bordeaux, le samedi 23 mars, ouvert à tous publics, réunira des psychiatres, des psychologues, des médecins du travail, des psychologues du travail, des juristes, des avocats et sera l'occasion d'une conférence-débat avec Marie-France Hirigoyen.
* Symposium organisé par l'institut Pitres-et-Régis et l'Association psychiatrique d'Aquitaine, de 10 h à 17 h à l'université Victor-Segalen Bordeaux-II (Amphithéâtre 4 Jean-Staeffen). Au programme, entre autres : médecine du travail et pathologie professionnelle, le harcèlement à l'école, incriminations abusives et délires de préjudice, le rôle de l'expert psychiatre.
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